Toiles, sculptures, céramiques, gravures ou installations sont mises en exposition jusqu' au 30 juin au Musée de la ville de Tunis (le palais Kheireddine). Cette exposition annuelle, organisée par l'Union des Artistes Plasticiens Tunisiens, comporte plus de 200 œuvres d'un niveau plastique assez élevé, émanant d'une nouvelle vision esthétique et créatrice des participants. De jeunes plasticiens exposent leurs travaux aux côtés d'autres plus confirmés en la matière, pour jeter un pont entre les générations et encourager la jeunesse à s'investir davantage dans la création artistique à l'heure où l'Art et la Culture ne cessent d'être menacés par certains esprits chagrins et rétrogrades.
Lors de cette exposition, nous avons rencontré Mme Souad Mahbouli, directrice du Musée de la ville de Tunis, qui participe avec sa toile intitulée « Orgueil », portrait d'un homme, la tête relevée, l'air déterminé, au regard fixé sur l'horizon, qui semble tenace et résolu, malgré toutes les contrariétés et les désagréments qui surgissent autour de lui et en dépit des circonstances actuelles qui sont peu claires. « Cet homme, nous confia l'artiste, représente pour moi, la Tunisie, qui reste debout, qui résiste, la tête toujours bien haute, fière et orgueilleuse, pleine d'espoir et confiante en l'avenir, quoique les expressions du visage trahissent une certaine anxiété ... ». Cependant, le visiteur peut remarquer cet élan d'optimisme et de confiance en l'avenir, de par les contrastes des couleurs : un fond noir renvoie au sentiment de peine et de tristesse provoqué par les événements exceptionnels vécus par la Tunisie, mais aussi une bonne tache blanche fait le contrepoids à cette couleur sombre, symbole de deuil et de désespoir, en émettant de la lumière sur toute la toile qui est porteuse d'une bouffée d'optimisme et d'espoir. Le portrait de cet homme n'est donc qu'un prétexte, c'est de la Tunisie qu'il s'agit dans ce tableau. A une question portant sur l'avenir de l'art et de la création artistique en Tunisie, Mme Souad Mahbouli tient absolument à la liberté d'expression artistique qui doit prospérer dans l'avenir, mais pour elle, « la liberté est une responsabilité et a ses limites, comme dans toute chose. Mais en aucun cas, je ne tolèrerais la violence contre les artistes, je suis pour le dialogue et en cas de dépassement de certaines lignes rouges, il y a la loi qui tranche ! »
La céramique est présente également dans cette exposition. Nous avons rencontré la céramiste, Sarra Ben Ataya qui propose une œuvre originale faite de débris d'anciens travaux, brisés accidentellement dans des circonstances différentes. L'artiste fait renaitre ces ouvrages de leurs cendres pour en refaire de beaux objets de céramique qui conservent leur matière et leur âme. Selon l'artiste, c'est le résultat de plus d'une année de travail. Il s'agit de 13 sujets en céramique qui ont subi, soit au cours de leur réalisation ou pendant leur exposition, un accident.ils sont ainsi récupérés et recueillis dans des boxes en verre, tels des morts dans leur tombe !Sauf que, pour l'artiste, ces objets ne sont pas morts, ils vivent encore, du fait qu''ils conservent toujours leur matière d'origine, l'argile, d'où ils ont été créés. « A la base, c'étaient des sculptures qui ont été émiettées, fragmentées suite à un acte involontaire et qui sont maintenant remis dans leur terre d'origine où leur corps se reposera sur une parcelle d'argile... ». Donc, ces treize corps sont revenus à la source, c'est-à-dire, à l'origine du monde qu'est la terre, et c'est là qu'ils retrouveront le repos et la paix. C'est que ces objets, que l'artiste préfère appeler des « êtres », ont fait le même parcours de l'être humain : il naît, il vit et il meurt en retournant à la terre. C'est toute une dialectique de vie et de mort qui est mise en évidence dans ces travaux. En effet, ces « êtres » qui avaient auparavant une posture verticale avant d'être endommagée, prennent aujourd'hui cette posture horizontale, à même le sol, pour se reposer à jamais.
Pourquoi ces « êtres » sont-ils mis dans ces boîtes en verre, pas en bois ou en plastique ? A cette question, Sarra Ben Ataya nous a répondu tout simplement : « J'ai choisi cet espace transparent d'où on peut voir même la chair de ces corps. On doit être transparent vis-à-vis des autres et envers soi-même ! » A la question pourquoi 13 objets, ni plus ou moins, l'artiste, qui est de mère chrétienne et de père musulman, nous a répondu : « Cela correspond à la Cène, le dernier repas du Christ entouré de ses douze apôtres, la veille de sa crucifixion. Et ces 13 objets alignés sont dirigés vers la Qibla, tout comme les musulmans enterrent leurs morts ». Et voilà que cette œuvre artistique prend aussi des dimensions religieuses. Concernant la matière, toutes ces espèces d'argile sont ramassées dans des régions tunisiennes, nous confirme l'artiste, elles sont de couleur et de chair différentes et appartiennent à des âges archéologiques différents. Ces œuvres d'art en céramique révèlent un intérêt particulier porté par l'artiste à la tolérance et à l'ouverture vers l'autre, dans la mesure où elle pense que « Ces variétés d'argile se trouvent toutes sur le même sol et se rencontrent dans une parfaite harmonie, pourquoi donc les hommes ne sont pas ainsi ? En dehors de toute appartenance (territoriale, idéologique, religieuse, politique...), la seule chose qui nous réunit, c'est le retour à la terre ! » Voilà le message que Sarra Ben Ataya voudrait bien transmettre à travers ses chers « êtres » magnifiques.