Nous le savions le parti le mieux structuré du pays parce qu'il le doit à la clandestinité à la répression féroce dont ses adeptes ont été l'objet. C'est dans la traque qu'on retrouve ses repères, et sur ce plan Ennahdha avec son bras « armé » salafiste doit beaucoup à Ben Ali : il a fait le lit de l'intégrisme exactement comme l'Amérique avait fabriqué son vrai Frankenstein à elle : Ben Laden. Et pourtant cette carapace de façade, un peu trop mythifiée se disloque quelque peu. En amont, les jeunes loups qui n'ont jamais pardonné à leur leader de les avoir laissé moisir dans les geôles tandis que, lui, se la coulait douce en Angleterre, eh bien il y a comme un besoin de Jebali, de Laarayedh et de Dilou – ceux là essentiellement – de se libérer de l'emprise du père, syndrome freudien pour appeler les choses par leur nom : succession ouverte mais héritage lourd à assumer. Pour autant, Hamadi Jebali est le premier à se rendre compte que le Parti est trop encombrant et qu'il entrave la marche déjà titubante de son gouvernement. Le Premier ministre veut du bien à ce pays. Et nous aurons tous remarqué qu'avec Laarayedh, il est le moins doctrinaire – en tous les cas pas autant que Lotfi Zitoun – le moins dogmatique et le moins totalitaire dans ses visions du Parti/Etat ou de l'Etat du Parti. Et donc il exprime en silence un certain dépit de se voir attribuer le rôle ingrat, celui de chef d'un exécutif, composite, avec des ministres ayant tendance à personnaliser les choses et dans un niveau de bas étage comme vient de le faire celui de la culture. Jebali réclame donc plus d'autonomie et, sans aller jusqu'au blasphème, il souhaiterait que son propre parti reste à ses yeux une source d'inspiration mais pas un appareil de gouvernance parallèle. De son côté Cheikh Rached, homme de foi, mais aussi habile homme politique, doit se méfier de sa propre puissance. Le métabolisme social du pays est suspendu à un mouvement de ses lèvres. S'il n'y a pas eu de problèmes, vendredi dernier, c'est parce que c'est bien lui qui en a donné l'ordre. Car faire souffler le chaud et le froid n'est pas un jeu. C'est de la dictature.