La culture médiatique en Tunisie est-elle prête à évoluer ? Pour répondre à une telle question, il faut d'abord savoir s'il y a une culture médiatique. Les journaux ont commencé à paraître bien avant la période coloniale, vers 1860 avec la parution du premier périodique en langue arabe : Arraied Arrasmi (journal officiel) dont le premier directeur fut Mohamed Essenoussi, un réformiste qui a subi des exactions à cause de ses écrits où il appelait déjà à l'époque à une réforme radicale des institutions politiques en Tunisie, à l'instar de ses contemporains réformistes dont notamment Bayram V et Khéreddine. Durant la période coloniale il y a eu une prolifération de journaux, aussi bien en langue arabe qu'en langue française, et dont certains appartenaient soit à des partis d'opposition dont le parti du Destour et le parti communiste, soit à des privés dont la ligne éditoriale variait selon la tendance de leurs gérants. Il y avait en effet des journaux privés qui épousaient la politique en place, osant rarement faire des déviations ou des critiques par crainte de sanctions. D'ailleurs il y en a eu pas mal par rapport à certains journaux qui dénonçaient l'attitude des autorités coloniales, et auxquels participaient certains leaders politiques tels que Mohieddine Klibi dans Azzohra journal en langue arabe, ou Habib Bourguiba dans l'Action, organe du parti destourien de l'époque.D'autres journaux tels que La Presse parue en 1936 et Le Petit Matin, La Dépêche Tunisienne ou le Tunis Soir , tous en langue française, parus à la même période, avaient gardé une ligne éditoriale assez neutre, avec de temps en temps quelques critiques par ci par là sans aller trop loin, sur le fond.
A l'avènement de l'indépendance c'est l'Etat qui a pris en main les médias. La plupart des journaux privés ont été obligés de mettre la clé sous le paillasson, et ceux qui sont restés étaient dans l'obligation de suivre la ligne rédactionnelle du pouvoir en place.
Une censure musclée sévissait par le biais des ministères de l'information et de l'intérieur qui travaillaient presque en pool épiant tous les journaux privés.
Les médias publics ont pris le dessus sur les médis privés (à l'époque il n'y avait pas d'autres chaînes de télévision à part la chaîne qui a débuté à la fin des années 1960.
Le pouvoir en place avait nourri chez le citoyen une culture médiatique qui croyait dur comme fer en les médias publics.
La censure qui alla crescendo a atteint son paroxysme à l'avènement de Ben Ali qui a annoncé la couleur dès son avènement au pouvoir.
Il a commencé par permettre certaines critiques une tactique pour répérer les opposants et mieux les mater. Le ton durcissait de plus en plus, etv les méthodes policières étaient pour rappeler à l'ordre un journaliste récalcitrant ou un opposant irrécupérable et incorruptible.
Après la Révolution que reste-t-il de cette culture chez le citoyen et quel rôle jouent actuellement les médias publics ?
Les intervenants, au cours de ce troisième atelier du colloque ont tous appelé à une restructuration systématique des médias publics afin que leur rôle ne soit plus celui de cautionner le pouvoir et ce dans l'intérêt d'une information réelle et juste.
-Ridha Najar directeur général du NMC consulting a affirmé que les médias publics sont tenus de servir le citoyen, d'autant plus qu'ils sont financés en majeur partie par ce dernier qui paie régulièrement la redevance télé avec la facture d'électricité.
Par ailleurs il a souligné que la chaîne nationale reste encore ciblée.Il n'y a plus de vocation à la production. On sert parfois du réchauffé et on attend les instructions du ministère de tutelle.
Informer, qui vient justement du latin mettre en forme, implique une mise en forme adéquate qui n'occulte pas la réalité des choses. Ce qui n'est pas encore le cas pour la chaîne nationale.
-Amel Chahed, productrice à la télé nationale, a fait remarquer pour sa part en parlant de la vocation des médias publics, qu'il faut être neutre en n'hésitant pas de rapporter les événements tels qu'ils sont et non tels que le désirent les responsables.
L'idéal est donc d'instituer une instance supérieure régulatrice qui permette une certaine liberté d'action de la télé nationale et de tous les médias publics.
Il y va de l'intérêt intellectuel, social et culturel du pays.
Chaque journaliste est tenu de respecter les règles tendant à satisfaire la crédibilité de l'information, a-t-elle enfin conclu.
En fait l'information ce n'est pas seulement la connaissance de l'évènement qui importe le plus ; c'est surtout la vérité sur cet évènement.
Hobbes avait-il raison de dire : « Gouverner c'est faire croire » ?
Evidemment, pour lui qui a parlé de l'Etat Léviathan, faire croire ne correspond pas souvent à la vérité. A méditer. !
Ahmed NEMLAGHI
*Demain le quatrième atelier : Ethique et déontologie