Les concepteurs de la transition parmi nos juristes les plus émérites ont tout prévu sauf qu'elle peut durer éternellement au nom de la souveraineté populaire concentrée et pratiquement monopolisée par le parti dominant à la Constituante. C'est qu'il y a toujours une différence entre la théorie et la pratique politique et il faut être Aristote, Machiavel ou Khayreddine Bacha pour en tenir compte pour avoir pratiqué la politique sur le terrain en plus de leurs projections académiques.
Finalement l'art politique est un éternel recommencement où l'ambition des hommes et leurs aspirations au pouvoir absolu doivent être tempérées et canalisées par la « Résistance » nécessaire du corps social afin d'arriver à un équilibre minimal entre les tendances hégémonistes des gouvernants et la participation politique légitime des élites et des masses populaires.
Cette « Résistance » peut prendre plusieurs formes, la meilleure bien entendu étant celle qui évite la violence.
Les Rédacteurs de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en France l'ont bien prévu en définissant les droits naturels de l'homme et qui sont « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ».
La démocratie occidentale mère et symbole du mode démocratique devenu universel, est le fruit de toutes les « Résistances » culturelles et sociales à la Monarchie de droit divin, à l'Eglise papale et impériale au Moyen Age, aux totalitarismes fasciste et stalinien, que les peuples d'Europe et d'Amérique ont livré pendant des siècles pour faire plier les gouvernants à accepter que leurs pouvoirs soient limités et soumis aux lois.
Depuis les chartes anglaises de 1215, la démocratie a été réalisée par la « valeur ajoutée » de la « Résistance culturelle » pour obliger les monarques à céder certaines parcelles de leurs droits « divins ».
Une des premières victoires de la démocratie anglaise a été d'obliger le Roi Guillaume d'Orange à valider les lois du Parlement en contre partie de son couronnement par ce même Parlement.
Eh oui, la politique n'est pas toujours très morale et le « marchandage » (qu'on appelle aujourd'hui négociation) en est l'instrument favori !
Alors partant de tout cela, permettez-moi de vous étonner encore une fois, pour vous dire mon optimisme sur la situation actuelle qui prévaut dans notre pays malgré tout ce qui se passe, globalement tout le monde s'accorde pour reconnaître les difficultés énormes du moment y compris le gouvernement. Les raisons sont archi-connues. Des problèmes structurels du sous développement lui-même qu'on a tendance souvent à oublier, à l'héritage catastrophique des vingt trois dernières années d'une dictature bananière et corrompue, aux résidus, cassures et brisures de la Révolution, nous n'avons que l'embarras du choix : certains y ajoutent le manque d'expérience du gouvernement d'autres rétorquent que les « poches » de la rétention de l'ancien régime continuent à freiner l'évolution vers la nouvelle « cité des fins » que la Nahdha nous promet. Mais si on fait l'effort de relativisation, on pourrait dire que, globalement aussi, la situation n'est pas aussi catastrophique qu'elle ne le paraît. Le gouvernement a fini par comprendre, qu'au moins à court terme il doit mettre en sourdine son projet « grandiose » de transformer radicalement le modèle social et culturel et « de réislamiser » « radicalement » les Tunisiens contre leur gré.
On sent ça et là le souffle de la manœuvre des « Nahdhaouis » empruntée à Bourguiba (tiens ils vont sursauter... pour dire... jamais !) et consiste à appliquer la méthode des « étapes » et du « Kar Wal Far » (l'offensive et la retraite) pour arriver au « Califat » sur le long terme.
Mais le plus important pour nous c'est cette « Résistance » héroïque des élites et du peuple de la « modernité » face aux offensives ininterrompues et agressives de la « Nahdha » pour contrôler la société et remodeler sa manière de vivre et « d'être » !
Finalement, la Nahdha va droit au but dans sa tentative de l'hégémonie sur la société et l'Etat, ou alors pourquoi toutes ces « nominations » aux postes stratégiques à quelques mois des élections, si elles ont lieu... ! Ont-ils pensé une seule seconde que si par hasard « Nida Tounes » ou une nouvelle coalition remportent les prochaines élections, toutes ces nominations « partisanes » seraient remises en cause et... Rebelote ! Kol Dawla Tekhdemha Rejelha ! (chaque, pouvoir n'est servi que par les siens).
Mais à l'opposé la société civile et le peuple de la modernité, démontrent des qualités de « résistance » énormes pour freiner l'appétit grandissant des « Nahdhaouis ».
C'est tout simplement admirable de voir cette mobilité, cet engouement citoyen et bénévole et cette soif de liberté qui coule dans les veines de cette multitude qui refuse la décadence de l'Orient déclassé et qui refuse le « Niqab » idéologique et culturel dont on veut l'habiller contre son gré !
Ce flux et reflux entre la volonté du pouvoir actuel de remodeler la culture populaire des Tunisiennes et des Tunisiens attachés plus que jamais à une certaine manière d'être millénaire depuis Carthage, et la résistance du peuple de la modernité est bien la source de mon optimisme. Si on avait fait autant avec Ben Ali après 1987, il ne serait pas devenu le dictateur, hors normes, qu'on connaît et il n'aurait pas pu autoriser l'appropriation du pays par une centaine de familles. Le gouvernement nahdhaoui devrait comprendre que désormais aucune force au monde ne peut résoudre les femmes tunisiennes, citoyennes à part entière, à revenir à l'esclavage des hommes « Phallo-Patriarches ».
La femme tunisienne est l'expression de notre avenir libre et épanoui avec des devoirs « acceptés » et non « imposés » comme le suggérait Aristote 2300 ans avant Jésus Christ.
Alors de grâce vivez et laissez vivre !
La politique c'est aussi de diffuser le bonheur collectif et non la répression de l'être et du corps.
Laissez à chacun le droit de vivre comme il l'entend et de jouir de son corps et de son âme comme il l'entend avec pour seule contrainte de ne pas porter atteinte à la liberté d'autrui.
Toutes les « sacralités » sont personnelles et relatives dans une République « civile ».
Le Doyen Mohamed Talbi l'a exprimé par ce cri : « Ma Religion c'est la liberté ». M. Hamadi Jebali sans doute, le citoyen, n'en est pas loin pour avoir dit que « Ma Religion c'est la démocratie ». Mais alors où est le problème... dites-vous !
Le problème c'est que M. Hamadi Jebali, citoyen, militant pour la liberté, est tout simplement premier Ministre et cadre dirigeant de « Nahdha » qui hésite à moderniser son projet de société islamique et à enfourcher pour de bon et de façon irréversible, le cheval de la démocratie aux normes universelles qui sont qu'on le veuille ou pas occidentales, parce que jusqu'à présent et comme le disaient Raymond Aron et Winston Churchill on n'a pas inventé mieux.
Un certain Bourguiba, lui l'a fait quatre mois après la déclaration d'indépendance, il a décrété contre vents et marées y compris certains destouriens, la libération de la femme à travers le code du statut personnel. Des dizaines de doctorats d'Etat à travers le monde reconnaissent en lui le vrai grand réformateur de l'Islam du siècle dernier.
Notre prophète vénéré Mohamed a bien dit que le « Paradis est sous les pieds des mères » (Al Jannatou tahta akdem al oummahet) et la démocratie en fait partie, à condition de le vouloir. Soyons optimistes, notre destin nous appartient !