Ils l'ont déjà tuée en eux, la Pensée, cette altière Princesse du Royaume des humains depuis que Dieu a ordonné aux anges de se prosterner devant le tout premier penseur dont toi et moi, mon frère, ma soeur, nous procédons. Ils l'ont tué en eux avant de venir hanter les blancheurs de nos pages avant même que nous commencions à écrire, les silences avant nos envies de parler, la virginité de nos toiles avant le premier coup de pinceau ou de crayon, le vide de nos scènes avant l'entrée de l'artiste... Tels des meutes de morts-vivants les voici resurgissant de leur crypte nauséeuse où les amants de la liberté ont cru les avoir à jamais ensevelis. Infatigable et incorrigible naïveté de nous autres les marcheurs insoumis sur le long chemin de la liberté : nous répugnons à exclure, à censurer, y compris celui-là même qui nous conduira à la potence dès le moment où il aura retrouvé et sa vigueur et ses griffes, grâce à nous et à notre profonde foi en l'homme porteur du seul désir d'être et de penser.
Nous répugnons même à leur rappeler que nous sommes bien au fait de leur statut de revenants, et faisons semblant, par pudeur ou crainte de leur maléfice, de leur montrer un minimum de mondaine sollicitude. C'est bien ce comportement de nous autres qui donnera consistance à leur illusoire et misérable existence de fantômes. Et, très vite, c'est de notre indulgence qu'ils puisent une nouvelle réalité et la capacité de nuire qu'ils ont perdue un jour quand ils ont perdu leurs maîtres et leurs patrons dans les usines de la mouchardise et la répression de tout souffle ou acte qui pense, créé ou rêve ou désire.
Tenez bon, mes amis, consœurs et confrères du Temps et de son aînée As-Sabah, tenez bon, le pigiste-chroniqueur signataire de ce " papier " qui ne sera pas le dernier si vous tenez bon est en admiration devant votre courage et votre magnifique résistance.