Quand un journaliste réputé certes, excentrique, mais grand militant pour la liberté de presse du temps de la dictature, M. Taoufik Ben Brik, commence à regretter, presque, Ben Ali (entretien à la chaîne de TV, Al Hiwar Attounsi), que dire des autres confrères, intellectuels et citoyens plus discrets et plus modérés ! Ce sentiment de frustration et de déception immense qui envahit le paysage médiatique, culturel et au-delà, le politique est le résultat de certaines accumulations d'attitudes et de décisions du système politique, « ce provisoire qui dure », et qui ont fait que beaucoup de citoyennes et citoyens, sont de plus en plus sceptiques sur l'éventualité de bâtir une démocratie aux normes universelles en Tunisie avec un pouvoir islamiste.
Je l'ai dit et le répété dans tous ces pays cités précédemment, la construction démocratique a précédé l'accession au pouvoir des islamistes. Ce ne sont pas les islamistes qui ont construit la démocratie en Turquie, c'est Atatürk le « laïc » et ses successeurs qui l'ont fait jusqu'à l'arrivée d'Erdogan qui a été élevé dans cette culture démocratique et qu'il respecte à son tour, aujourd'hui.
L'erreur fatale des Yadh Ben Achour, Kamel Jendoubi, Kamel Laâbidi, et même de Béji Caïd Essebsi, c'est d'avoir cru que la Révolution merveilleuse du 14 janvier avait balayé pour l'éternité l'absolutisme et les tentations totalitaires. Et voilà que le Doyen Ben Achour qui appartient à l'une des familles de jurisconsultes les plus brillantes de ce pays, depuis la fondation de la prestigieuse « Zitouna » ; prévient que nous risquons de rouler vers une dictature encore plus pointue et plus durable que celle de Ben Ali.
Terrible, n'est-ce pas ! Jamais je n'aurai pensé que M. Ben Brik et M. Ben Achour étaient si proches intellectuellement ! En tout cas, leurs diagnostics sont presque identiques.
Mais, le plus dur serait de chercher les causes de ce glissement d'un système issu d'une Révolution pacifique et libérale vers un régime qui menace les libertés politiques et intellectuelles et qui veut contrôler l'Etat et ses institutions comme par le passé.
Les partisans de la Nahdha et de son gouvernement vous diront que les intellectuels nous font un procès injuste et personne ne nous a aidé à stabiliser le pays et le remettre en marche avant d'ajouter : « Nous avons navigué à vue de crise en crise et personne n'a été clément envers nous, bien mieux, la presse, les intellectuels et les syndicats n'ont pas usé de retenue et de neutralité, ils ont plutôt attisé le feu de la désobéissance et de la révolte ». Disons tout de suite que ceci n'est pas invraisemblable et peut contenir quelques vérités.
Mais, ce que les Nahdhaouis, surtout, leurs idéologues et hommes d'appareils, refusent d'admettre et de déclarer clairement, c'est ce que leur intention première c'est de « réislamiser » la Tunisie et son peuple à leur manière.
A travers les incursions agressives dites « salafistes » et que beaucoup d'esprits méfiants attribuent aux bras armés de la Nahdha et ses milices « dormantes », le but est clair et sans équivoque. La Tunisie doit devenir comme l'Arabie Saoudite ou l'Iran !... mais sans pétrole, évidemment... alors, bonjour les désillusions et les dégâts !
Ce qui s'est passé à Sfax, et les lâches agressions qui ont eu lieu à l'encontre des femmes militantes de « Nida Tounès » est criminel et inacceptable dans un système qui dit vouloir instaurer une « démocratie parlementaire » et de droit dans ce pays. Imaginez cette scène exécrable en Angleterre où une grande dame est reine, en Espagne, au Danemark ou en Italie, le gouvernement aurait subi une crise majeure du fait, des mouvements féministes et démocrates !
Avant-hier, un hôtel à Sidi Bouzid a été saccagé par ces mêmes « hordes » de nouveaux justiciers qui défient dans l'impunité totale, toutes les lois et toutes les autorités y compris celle de Ali Laârayedh, ministre de l'Intérieur.
Pourtant, ce ministre a démontré jusque là un grand sens de l'Etat et je parie qu'avec le Premier ministre, Hamadi Jebali, c'est l'homme le plus populaire de la Nahdha, en ce moment.
Par conséquent, la méfiance des Tunisiens vis-à-vis des « Islamistes » même modérés, augmente de jour en jour et on ne peut pas mettre tout cela sur le dos de l'opposition démocratique, de Néjib Chebbi, de Maya Jeribi, Hamma Hammami, Ahmed Brahim ou Béji Caïd Essebsi et son staff, qui appellent toujours à un dialogue responsable avec le gouvernement et la Nahdha.
Au fait, quoi de plus légitime que de demander à ce gouvernement et à sa majorité constituante, une feuille de route transparente et nette avec des dates précises et définitives pour les prochaines élections et pour la rédaction finale de cette Constitution tant désirée et tant attendue que des humoristes excessifs annoncent pour 3013... Inchallah !
Mais, tout cela dépend, finalement, d'une hypothèse de départ qui ne trouve pas réponse et elle est de taille : Veut-on réellement et sincèrement un système démocratique aux normes universelles, qui sont de fait, occidentales, et dans ce cas, pourquoi avoir peur des élections et de l'alternance au pouvoir !
Ou veut-on, faire virer la Tunisie à 180 degrés en la projetant pour des siècles à venir dans le mode culturel et politique islamiste oriental, et alors, les élections et même la Constitution n'ont plus de sens... Voyez ce qui se passe en Arabie ou en Iran !
Entre-temps, le fossé se creuse de jour en jour et de plus en plus, entre ces deux modes de société et les Tunisiens sont bien divisés actuellement.
Pourtant, il va falloir revenir aux sources même de l'Islamité tunisienne qui a fait de nous un peuple uni et heureux pendant des siècles. Les idéologues et faux « prophètes », des temps actuels, doivent revenir à la raison et au dialogue pacifique faute de quoi, c'est la « libanisation » et alors, ce sera la fin du rêve pour tout le monde ! Rabbi yostor !