La communauté nationale vit encore au rythme des événements violents survenus le weekend dernier, dans la zone huppée de la capitale à savoir : les Berges du Lac. Les commentaires et les photos circulent toujours sur les réseaux sociaux, facebook, Ytube et twitter...et font l'objet d'un débat animé dans les cercles de discussions. En fait, il sera difficile d'oublier les images sombres qui ont fait la Une de la presse nationale et internationale, où l'on voit des Salafistes et des barbus commettant des actes de violence non justifiés et surtout exagérés, au nom de l'islam et du prophète Mohamed. Autres images, désolantes et surtout négatives ont fait le tour des réseaux sociaux et des sites internet. Il s'agit en effet, de celles du pillage de l'école américaine. Des téléviseurs, des PC, des équipements de tout genre, même des aliments. Tout a été pillé sauf les livres comme d'habitude. Le butin de l'invasion était riche et varié. Il est clair que les manifestants agresseurs n'avaient pas uniquement, pour objectif de protester contre le film islamophobe « L'innocence des musulmans ». Leur intension dépasse de loin la simple contestation pour confirmer l'idée à laquelle n'ont cessé d'appeler certaines personnes : réaliser des gains matériels. Un butin qui vaut des pièces pesant d'or. Mais s'agit-il là de l'esprit de l'islam qui se base sur la tolérance et la paix ? Pourquoi parle-t-on lors du 21ème siècle de butin alors que ces actes et ces pratiques font partie de l'histoire de la société arabo-musulmane ?
Historiquement, le butin a joué un rôle très important dans l'édification de l'Etat islamique ainsi que les croisades menées des siècles en arrière. Cette question qui paraît, pour certains, un sujet classé dans les archives des sociétés arabo-musulmanes, fait aujourd'hui l'objet d'un débat mené par des groupes salafistes lesquels considèrent que le concept est toujours d'actualité. Ils n'ont d'ailleurs, pas hésité à prouver qu'ils sont sérieux. La notion de butin, en arabe « Ghanima », a rejailli sur la scène tunisienne et ce en se basant sur des lectures et des interprétations des textes coraniques et de la Chariaa. Et pour preuve : les images qui ont circulé le weekend dernier sur les actes de violence et de pillage de l'ambassade américaine en Tunisie ainsi que l'école américaine.
Lecture sociologique
Mais comment s'explique sociologiquement, cette pratique ou cette notion ? Pour répondre à cette question, Abdellatif Hermassi, professeur de sociologie islamique précise que la principale référence en la matière c'est le penseur maghrébin Mohamed Abed Al Jabri. « Dans son ouvrage « La raison politique arabe », « Al Aql Assiyassi Al Arabi », Al Jaberi distingue trois facteurs ou trois éléments déterminants dans le fonctionnement de cette raison qui est une logique qui gouverne les attitudes et les comptes des sociétés arabes, que ce soit à l'époque préislamique ou islamique», explique le Professeur Hermassi. Il s'agit en fait de la tribu « Al quabila », synonyme de l'esprit de clan, « d'Al Ghanima », le butin et « d'Al Aquida », les croyances, la doctrine.
Dans ce sens, « le butin est défini comme étant une source de revenus qui ne provient pas du travail. Cela comprend aussi bien le butin de guerre (les actes de pillage) que les impôts imposés aux autres « Al Khawarej », ou imposés sur la propriété... », toujours selon le spécialiste. Le professeur Hermassi précise également que le butin « avait un rôle important dans la vie des bédouins arabes ainsi que les relations entre les tribus. Cette notion déterminait lors du pré-islam, les relations entre les clans et les alliances entre les tribus lors des périodes de guerre et lors de la paix.
Le butin
Parlant du butin avec l'avènement de l'islam, « Al Jaberi précise que le prophète Muhammad n'était pas influencé par l'appétit du gain. Il était plutôt un messager pour l'humanité », signale le sociologue tout en précisant que les compagnons du prophète étaient de leur côté mus par la foi. L'objectif de l'islam était dès lors de créer une communauté spirituelle qui supposait la primauté de ce principe sur les autres facteurs.
Alors comment Mohamed Abed Al Jabri explique-t-il l'apparition et le développement du phénomène du butin. Cela se comprend par « le jihad lancé suite à l'émigration du prophète à Médine et le début des affrontements armés avec ceux qui refusaient l'Islam », répond Abdellatif Hermassi. Pour mener à bien leur combat, les jihadistes avaient besoin de ressources financières, d'équipements pour l'armée ainsi que de provisions...Il fallait donc s'approvisionner et le butin était un moyen pour subvenir aux besoins des défenseurs de l'Islam. « Il s'agit là de la logique de l'Islam, la raison politique de l'Islam » et le butin constitue un élément de ces attitudes.
Elément catalyseur
Mais la donne a changé. Le butin est passé d'un élément adjuvant à un élément catalyseur et incitateur des guerriers surtout les bédouins pour les encourager à se convertir à l'Islam. D'ailleurs, Al Jabri se réfère à la sourate « d'Attawba », le repentir, pour refléter l'état réel dans lequel Muhammad a laissé la communauté.
Des siècles se sont écoulés, et voilà que le phénomène de butin réapparait en Tunisie de l'après 14 janvier. Ce sont les salafistes qui prônent le concept pour justifier leurs actes de pillage et de saccage de tous genres. Ils veulent se convaincre qu'ils ne font que lutter contre les mécréants et qu'ils appliquent les mêmes règles que celles adoptées lors des Croisades. Mais ces idées n'ont pas d'échos dans notre société. L'imaginaire collectif est trop imprégné par plusieurs facteurs dont, les droits de l'homme, la tolérance et l'acceptation de l'autre pour se laisser subjuguer pour ce retour à la barbarie. « Les Tunisiens ont normalisé leurs relations avec les autres et ils acceptent l'autre, l'autre nation », fait remarquer le Professeur Hermassi. Et d'ajouter : « le Tunisien moyen n'a pas pour objectif d'imposer l'Islam dans le monde, de faire l'activisme de l'Islam ». « Ce sont les Salafistes Djihadistes qui rêvent d'établir l'Islam dans toutes les sociétés...et ils veulent appliquer à la lettre les versets coraniques cités dans des contextes bien déterminés », selon le sociologue.
Reste que les autorités de tutelle, plus particulièrement le ministère de l'intérieur doit faire preuve de plus de sérieux et de professionnalisme dans la lutte contre ce phénomène qui risque de s'enraciner dans notre société. Car nous risquerons de vivre l'expérience algérienne celle des années 90 où tout était permis au nom de l'Islam.