Ce jeune docteur Néjib Karoui pourrait bien, un jour, devenir un acteur privilégié d'une Nahdha rénovée et qui sait avoir à l'horizon un destin politique. Vous me direz qu'il a déjà de qui tenir. Héritier d'une famille de notables influente à Sousse la « perle » du Sahel comme le chantait la grande Oulaya (Iz el bled we fakhraha ya Soussa... Izha wa tihi quinti el Aâroussa...). Ce jeune homme n'a pas eu seulement la peine de naître comme beaucoup d'enfants gâtés de la bourgeoisie, mais il a fait son bout de chemin, selon ses propres convictions et qui sont, tenez vous bien, à l'opposé de celles de son père, Dr. Hamed Karoui, destourien, compagnon et ministre de Bourguiba, puis Premier ministre de Ben Ali.
Nous allons partir de deux questions, si vous permettez, pour situer le personnage.
D'abord, est-il un bon musulman !
Là, la réponse est nettement positive, parce qu'au moins il ne renie pas son père... Bien au contraire, il le défend et démontre à son égard beaucoup d'affection. Je dis cela parce que la mode chez les Islamistes radicaux, et les prêcheurs de « Fitna » (discorde), qui nous viennent de l'Orient décadent et misérable, c'est de renier ses parents quand on estime qu'ils constituent une entrave à l'expansion de l'Islam... leur Islam, ou même quand ils ont une interprétation jugée non « orthodoxe » des textes sacrés. J'ai entendu de mes propres oreilles dans une chaîne de télévision de « névropathes », d'Orient, un « Daïya » dire à l'adresse des Musulmans : « Faites qu'ils (les jeunes) s'opposent à leurs pères dans l'intérêt de l'Islam » ... ! Drôle de « hikma » et de sagesse ! Mais ce bougre de terroriste, a oublié la parole de Dieu : « Wa bil walideini Ihsanen » (Faites le bien à vos parents).
Par conséquent, je salue le courage de ce jeune médecin de Sousse nahdhaoui militant, recherché longtemps par la police politique de Ben Ali, proche du Premier ministre actuel, Hamadi Jebali, parce qu'il n'a pas renié son père... Et d'ailleurs, pourquoi le ferait-il ! A ma connaissance, Si Hamed Karoui a été un grand militant du Néo-Destour et fondateur de l'UGET. Il a, par ailleurs, contribué comme tous les Bourguibistes authentiques à la construction de l'Etat national moderne. Quant à la décennie qu'il a passée à la Kasbah comme Premier ministre de Ben Ali, il faudrait à notre humble avis faire la part des choses. Il faut diviser « l'ère » Ben Ali en deux décades au moins.
La première, dont il s'agit, a été dramatique pour tous les cadres honnêtes de l'Etat « destourien » mais aussi pour l'opposition démocratique de gauche et pour les Islamistes eux-mêmes Tout le monde a cru à la farce du 7 novembre, même les plus avertis comme feu les professeurs Mohamed Charfi et Dali Jazi, ainsi que le plus grand opposant à Bourguiba à l'époque, M. Khemaïes Chammari, pour arriver, enfin, au Cheikh Rached Ghannouchi qui a été lui aussi pris au piège et charmé par le général dictateur. Que dire alors des destouriens qui voyaient en Ben Ali, un mal nécessaire, capable d'assurer la continuité de l'Etat et sa stabilité, faute de leader charismatique de la trempe de Bourguiba alors vieillissant.
C'est à partir de la deuxième décade du pouvoir-Ben Ali – et surtout à partir de son second mariage que le régime a sombré dans le totalitarisme absolu, la corruption et le népotisme. J'en arrive maintenant à la seconde question concernant notre jeune médecin : Est-il un bon Nahdhaoui !
Là.. la réponse ne peut être que mitigée.
Pour ceux parmi ses « patrons » idéologiques et ses camarades qui ne croient pas à la démocratie ni à l'Etat moderne, ce jeune homme est certainement un trouble-fête, un « Trotski égaré » un « révisionniste », etc...
En un mot, le « fils de son père » et « Keskislou yarjaâ laslou » (chassez le naturel... il revient au galop).
De là, à penser qu'un de ces quatre matins, ce « Nahdhaoui » réformiste, finira bien par rejoindre « Nida Tounès » qui est « génétiquement » sa famille naturelle... il n'y a qu'un pas Encore que Si Hamed pourrait avoir à ce sujet, son mot à dire... !
Après son interview-radiophonique, certaines mauvaises langues laissent entendre déjà qu'il pourrait jouer les « chevaux de Troie », très commode pour la Nahdha pour diviser l'armada destourienne revenante et affaiblir son frère d'armes, M. Béji Caïd Essebsi, président de « Nida Tounès ». L'hypothèse serait en tout cas, catastrophique pour la remise à niveau du mouvement destourien authentique qui a besoin plus que jamais de cohésion et de solidarité. Mais, en politique, tout est possible quand l'idéal est soumis et domestiqué par les intérêts et l'ambition du leadership.
En tout cas, pour les Nahdhaouis de la nouvelle génération et qui caresse le projet de réussir là où tous les autres pays arabes et islamiques ont échoué, et qui veulent bâtir une démocratie « islamique » aux normes universelles, M. Néjib Karoui serait un don du ciel.
Voilà quelqu'un élevé aux écoles du rationalisme occidental, qui n'en veut pas à mort à Bourguiba, qui reconnaît même ses mérites et ses grandes qualités d'homme d'Etat, et qui pense que l'Islam véritable n'est pas en contradiction avec les principes de la liberté et de la justice et qu'il peut parfaitement s'adapter à la mécanique de l'Occident démocratique et libéral, basée sur la sacralité de l'individu, la séparation des pouvoirs et l'alternance démocratique par les élections et n on par la violence expansionniste et jihadiste.
Mais là encore, le chemin est encore long pour ce jeune homme et ses camarades pour convaincre les hommes de décision de la Nahdha qui vivent sur une autre planète à des années lumières de notre siècle et de notre époque !
S'il réussit, c'est tant mieux pour son parti et le pays... et s'il échoue il aura eu le mérite, au moins, d'avertir et d'essayer !
« Wa innaka la tahdi man ahbabt... Lakinna Allaha yehdi man yachaa » !