Après les événements de l'ambassade des Etats-Unis, Hamadi Jebali et Ali Laârayedh – que les faucons d'Ennadha veulent, dit-on, monter l'un contre l'autre – sont convenus de prendre réellement les choses en main. Cela veut dire qu'ils n'accepteraient plus d'interférences et que, tout en préservant leur fibre nadhaouie, ils ne se sentiraient plus capables de prêter chaque jour allégeance aux symboles. Peut-être exagère-t-on lorsqu'on affirme que le métabolisme social du pays reste suspendu à un seul mouvement des lèvres de Cheikh Rached. Cela ferait allègrement le jeu des dévots, des adeptes à la sainteté sans Dieu et ceux qui ont des réminiscences iraniennes et une adoration presque païenne pour l'univers insondable des Ayatollahs. Nous ne pensons pas que Rached Ghannouchi, l'homme qui postule à une place de choix dans le panthéon des Ulémas universels, celui qui se prépare à succéder à Karadhaoui et qui aspire à ancrer l'islamisme tunisien à celui de la Turquie, veuille d'un statut momifié à la khomeiny. Non, la tentation chiite est minime en Tunisie et en tous les cas elle est beaucoup moins marquée que ne le sont les épanchements salafistes. Sauf que les Tunisiens, et même les plus religieux et les plus pratiquants d'entre eux, représentent heureusement la majorité fédératrice du culte dans notre pays. C'est cela la foi : une transcendance ou, plutôt, la transcendance. Dès lors, ils s'accommodent très mal de la personnalisation des préceptes religieux et ne supportent pas que le fait religieux instrumentalise le fait politique. D'où cette suspicion tournant autour de Rached Ghannouchi, homme de foi et de religion, certes, mais aussi un dinosaure politique. Raison pour laquelle, entre autres, ses fils spirituels, Jebali, Laârayedh, eux d'abord, souhaiteraient que le maître reste sur son piédestal, le garant de la transition islamique... En d'autres termes, qu'il reste dans son rôle.