La feuille de route présentée, dernièrement, par les partis de la coalition gouvernementale, ou troika, pour régler la crise de la légitimité, n'a pas eu, semble-t-il, l'effet escompté. Rendue publique mi-octobre, elle préconise l'adoption de la nouvelle Constitution tunisienne avant la fin de cette année 2012 et l'organisation des prochaines élections générales au plus tard le 30 juin 2013.
Le décret loi du mois d'août 2011 relatif à l'élection de l'Assemblée nationale constituante, le 23 octobre 2011, stipule clairement et sans la moindre équivoque que l'ANC doit achever l'élaboration et l'adoption de la nouvelle Constitution tunisienne dans un délai d'un an au maximum, suivant son élection. Or, un retard énorme a été enregistré, dans ce processus, et il a fallu, vraiment, une pression soutenue de l'opposition politique et de la société civile pour amener la troika à l'accélérer, puisqu'elle détient la majorité absolue des voix dans l'ANC et domine les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Aussi, dès le 23 octobre 2012, l'Assemblée constituante a entamé la discussion de l'avant projet de la nouvelle Constitution, manière d'être en règle avec les dispositions du décret loi signalé.
Scepticisme
Au même moment, profitant des deux évènements marquants de ces deux dernières semaines, la Conférence périodique des gouverneurs et la séance plénière de l'Assemblée constituant le 23 octobre 2012, le chef du gouvernement, Hamadi Jébali, qui est le secrétaire général du mouvement Ennahdha, principal parti de la coalition gouvernementale, a réaffirmé l'attachement de son parti d'obédience islamique, à l'instauration d'un Etat démocratique et civil, en Tunisie, et à l'égalité entre l'homme et la femme, et il a pris soin d'employer le terme ‘'égalité''.
Ces engagements devraient, en principe, rassurer beaucoup de dirigeants politiques et de leaders d'opinion pour qui le plus important dans l'étape actuelle réside davantage dans la préservation du caractère démocratique, civil et moderne de l'Etat et de la société en Tunisie, que dans la solution des problèmes techniques du chômage et du déséquilibre régional.
Mais, une grande partie des citoyens, y compris des gens croyants et pratiquants, et les diverses tendances de l'opposition politique sont restés sceptiques et refusent d'accorder le préjugé favorable aux partis de la coalition gouvernementale, en ce qui concerne leur respect de l'alternance pacifique et démocratique au pouvoir. Certains rappellent que l'autre parti de la coalition, celui du président de la République, le Congrès pour la République (CPR), avait refusé de signer l'accord du 15 septembre 2011, par lequel les partis politiques agissant sur la scène s'étaient engagés à achever l'élaboration de la nouvelle constitution dans un délai d'un an après les élections de l'ANC.
Dans le même ordre d'idées, un écart énorme sépare la coalition gouvernementale et l'opposition politique s'agissant de l'appréciation de l'action gouvernementale.
Dans son allocution à la conférence des gouverneurs, le chef du gouvernement a parlé d'accumulation d'acquis dans la voie de la transition démocratique, sous la direction de son gouvernement, alors que l'opposition estime que le processus de démocratisation post révolutionnaire s'était arrêté le 23 octobre 2012, date de l'élection de l'Assemblée constituante qui a vu la victoire des partis de la coalition gouvernementale, Ennahdah, le CPR et le Forum démocratique pour le travail et les libertés ‘'ETAKATOUL''.
Vieux réflexes
De son côté, lors d'une récente interview à un journal arabe, et cédant à des vieux réflexes toujours vivaces, le président du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, a brossé un tableau idyllique de la situation prévalant actuellement en Tunisie, et a qualifié la Tunisie actuelle de modèle unique en son genre dans la région arabe et maghrébine, comme à l'époque de Bourguiba et Ben Ali lorsque la Tunisie était toujours citée en exemple, contre vents et marées.
Or, le bilan de l'action gouvernementale n'est pas brillant.
Certes, la coalition au pouvoir ne cache pas les difficultés auxquelles fait face la Tunisie, mais soutient que le pays est sur la bonne voie.
Par contre, aux yeux de l'opposition et des organisations professionnelles, c'est une série de tensions extrêmes et ininterrompues qui a caractérisé la situation en Tunisie, dans tous les domaines, depuis l'arrivée de l'actuelle coalition gouvernementale au pouvoir, à cause des velléités d'instrumentalisation de l'administration et de l'appareil de l'Etat, au profit d'intérêts partisans.
Aussi, l'opposition politique vient d'ajouter à ses revendications traditionnelles, l'autonomisation des quatre ministères de souveraineté, soit les départements de l'intérieur, de la justice, des affaires étrangères et de la défense nationale.
Elle réclame que ces ministères de souveraineté soient confiés à des personnalités indépendantes n'appartenant à aucun parti politique. Les titulaires des trois premiers départements sont des membres du parti Ennahdha.
Pour terminer le décor, et dans un geste rappelant le coup de théâtre de 2011, le président de l'ancienne Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), vient de préconiser le report de la date des prochaines élections au 23 octobre 2013, alors que de l'avis de tous, l'impatience des Tunisiens a atteint son paroxysme.