Alors qu'ils n'étaient pas capables de tenir leur destinée entre les mains, les jeunes, ces laissés pour compte, sont devenus du jour au lendemain les héros épiques d'une Révolution populaire. C'est l'impression générale qu'on retient en lisant ce roman « Malédiction des marginaux », le premier roman de Taieb Touili qui vient de paraître aux éditions Sotepa Graphic. Taieb Touili est le fils de l'écrivain prolifique Ahmed Touili, il tient sans doute le talent littéraire et l'art de l'écriture de son père, quoique la dimension sociologique soit bien manifeste dans la trame de ce premier roman, sachant que l'auteur est titulaire d'un doctorat en sociologie. Le lecteur est amené à suivre les événements et les personnages à travers des labyrinthes et des péripéties interminables et des situations très complexes.
Le roman évoque les circonstances qui ont précédé la Révolution et qui ont contribué à son déclenchement : profondes déceptions et désagréments continus éprouvés par une jeunesse systématiquement marginalisée par le régime en place et qui souffrait du désœuvrement et de l'exclusion. Il en résultait une amertume ressentie contre les disparités sociales et régionales et la situation dégradante qui régnait dans la société en général, laquelle situation était caractérisée par l'accroissement des phénomènes de corruption, de népotisme, de partialité et d'injustice. Une jeunesse qui se sentait défavorisée et privée des richesses nationales et qui se considérait touchée dans sa dignité, dans ses aspirations, dans ses rêves qui devenaient de plus en plus irréalisables. C'est cette jeunesse qui a décidé un jour de sortir dans la rue pour hurler son désespoir en se révoltant contre les dirigeants
corrompus, partout dans toutes les régions. Et ce fut la Révolution du 14 janvier, marquée par la fuite de l'ancien président.
Les événements de ce roman sont puisés dans la Révolution, mais force est de constater que la fiction le remporte sur la documentation, dans la mesure où le schéma narratif classique est bien présent, puisqu'il y a un début, des péripéties et un dénouement final. L'histoire tourne autour de Larbi, personnage principal, titulaire d'une maitrise d'arabe à la recherche d'emploi depuis cinq ans comme la plupart de ses amis, ayant subi à plusieurs reprises les épreuves du concours du CAPES, en vain. Toutes les chances de pouvoir travailler et construire une famille et un avenir décent semblaient s'évaporer devant ses yeux. Ayant perdu toute confiance en les valeurs et les bonnes mœurs que sa famille lui avait inculquées depuis sa prime enfance, Larbi désespérait chaque jour davantage et ne voyait aucune issue à ses problèmes, il finit par choisir les moyens malhonnêtes, violents et scandaleux : le crime ! Larbi tua alors un vieil homme vivant seul, vola son argent et prit la fuite. Mais jusqu'à la fin du roman, ce crime abominable demeurait impuni, puisque rien ne donne à croire que le tueur est recherché par la police ! L'auteur nous révèle les métamorphoses subies par le personnage qui passe d'un jeune homme vertueux, pieux et honnête à un individu dévergondé fréquentant les bars et les femmes ; même Hédia, sa bien-aimée, une jeune fille voilée, qui, crevée de jalousie, enleva son voile pour faire plaisir à son amant. Pourtant, Larbi s'enticha d'une certaine Chems, rencontrée lors d'une beuverie, sans pour autant rompre avec la préférée Hédia : c'est ainsi que sa vie est partagée entre ces deux filles, préférant vivre dans la débauche et l'impunité. Et, pourtant, il se conduisit en héros, le 14 janvier 2011, en participant à la Révolution, faisant preuve de bravoure et d'héroïsme en montant sur un édifice de l'Avenue et s'enveloppant du drapeau tunisien en signe de victoire ! Cet acte justifie-t-il la solution choisie par Larbi pour sortir de sa misère et mener une nouvelle vie comme si de rien n'était ?