Par:Khaled Guezmir - Les Arabes et les Musulmans ont eu l'habitude de percevoir l'Etat à travers sa capacité d'établir l'ordre même par la violence « illégale » du Prince. En Occident les gouvernants ont appris à montrer la « force » pour ne pas l'utiliser. C'est ce qu'on appelle la prévention. Mais dans tous les cas de figure rien ne vaut l'adhésion au système social et politique. Voir aujourd'hui toute cette agressivité de notre jeunesse et de certains de nos concitoyens à l'égard de tout de ce qui symbolise l'Etat et les instruments de sa souveraineté a de quoi inquiéter à plus d'un titre. C'est pour cela qu'il est grand temps de délimiter les responsabilités... toutes les responsabilités. Ce que j'ai vu à la télé avant-hier à Kerkennah et la mise à sac de la délégation ne peut avoir de justification quel que soit le motif parce ce bien mobilier et immobilier appartient non seulement à la communauté, mais nous serons un jour ou l'autre obligés de réparer les dégâts aux frais des contribuables. Mais revenons un peu à la genèse de cette violence populaire irréfléchie et dévastatrice. D'abord l'accumulation de tout ce qui a fait que notre perception de la chose publique soit intimement associée à l'appropriation de l'Etat par le « Prince », sa famille, ses alliées et ses proches, surtout au niveau des intérêts. Finalement « détruire » l'Etat et ses symboles revient à « détruire » le « Prince » despote et corrompu. C'est ce qui a été matérialisé par les premiers assauts de la Révolution des jeunes entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011 contre les bâtiments publics, les ministères et surtout les gouvernorats dans les régions défavorisées de l'Ouest du Nord au Sud. La réussite et l'aboutissement heureux de la Révolution a-t-il apaisé cette frustration agressive ! Oui... à l'annonce des élections parce que tous les espoirs étaient permis. Le jour de gloire est arrivé ! On va avoir un gouvernement représentatif désigné par une Constituante élu démocratiquement. Malheureusement au fil des mois... de longs mois... que le Dr Ben Jaâfar a vu passer dans la tempête permanente, beaucoup de citoyennes et de citoyens ont senti que les nouveaux pouvoirs veulent aussi et à nouveau, s'approprier l'Etat. Pire encore chacune des idéologies et des « religions », puisque l'Islamité tunisienne qui était homogène a enfanté un nombre incalculable de schismes, s'est attachée à concevoir « son » Etat. Les islamistes veulent rétablir l'Etat des Califes du prophète un Etat idéalisé au maximum et ayant pour fondement la culture « communautaire » au détriment de la liberté individuelle. Les gauchistes veulent remettre en selle la dictature du prolétariat qui a tout simplement abouti à la dictature tout court là où elle a été établie. Quand on voit des « Imams » vénérables se transformer en « milices » de mobilisation de la rue on se demande si notre Ministre des Affaires religieuses ne s'est pas trompé sur la vocation de son Ministère ! Il serait grand temps de rétablir l'autorité de l'Etat, personne morale neutre, comme la décrivait le juriste Carré de Malberg, afin de prendre en charge la sécurité des personnes, des biens et des Institutions. L'Etat-Parti est une vieille pratique du passé et la présence des « milices » de droite ou de gauche ne peut faire avancer le processus démocratique auquel aspirent les Tunisiens du 21ème siècle. Il est quand même, contre nature, de voir des systèmes atteindre le pouvoir par la démocratie élective et se retourner contre cette même démocratie avec l'espoir de remettre en place le vieux système. Beaucoup de gens sérieux, dont le Premier ministre Hamadi Jebali, ont raison de penser que seules les élections au plus vite pourront éteindre la grogne politique et sociale. Les Tunisiens ont besoin de savoir dans la clarté totale, que leurs votes compteront demain, au moins, à assurer la stabilité nécessaire d'un gouvernement légitime dans la durée et non transitionnel pour l'éternité ! Seules l'accélération du processus démocratique l'adoption d'une constitution et des élections transparentes pourraient déclencher à nouveau l'adhésion salvatrice. Alors celui « qui gouvernera ... » ne sera plus perçu ni comme une victoire écrasante pour l'adversaire, ni comme une punition au vaincu. C'est la règle du jeu !