Notre « opinion » parue le 30 novembre 2012 sous le titre « Le bilinguisme conspirateur » a suscité une réaction d'un lecteur. Voici son texte, du reste assez intéressant et qui se veut – à juste titre, un plaidoyer pour la langue française. J'ai lu votre article paru sur les colonnes du journal « Le Temps » sous la rubrique opinion daté du 30 novembre 2012 « Bilinguisme conspirateur » où vous décriez une sorte de sujétion du Tunisien à la langue française au détriment de sa langue maternelle qui est l'arabe. Il est surprenant qu'une opinion provenant d'un sociologue puisse être aussi virulente à l'égard d'une langue universellement appréciée. Je suis enclin à vous répondre de prime abord que votre article porte des germes de haine et de calomnies envers cette belle langue étrangère qui a rendu d'énormes services à la culture et au progrès de notre pays. Je n'ai pas eu l'honneur de vous connaître, mais je sens que votre article porte de forts relents d'un courant politique à la mode... Cependant, je ne nie pas le bien fondé et la sacralité de la langue nationale comme étant un ciment fondamental de notre authenticité arabo-musulmane. Il est malheureux de constater aujourd'hui que le Tunisien d'aujourd'hui, qu'il soit universitaire ou d'un niveau subalterne utilise un français très abîmé et déformé. C'est courant de lire un écrit ou d'écouter une discussion d'un cadre supérieur, d'un médecin ou ingénieur sans relever de fautes d'orthographe, de construction ou de vocabulaire. Ce phénomène n'est pas exclusif aux seuls Tunisiens, on le constate aisément sur facebook parmi les Français eux-mêmes. Pour nous, cette situation résulte à mon avis de l'échec de la politique éducative depuis l'indépendance où plusieurs réformes ont été introduites, notamment celles des coefficients qui favorisent les matières scientifiques au détriment des matières littéraires d'où des résultats peu probants. La langue française est une chance pour nous, Tunisiens, car elle nous ouvre une porte sur les sciences, médecine, droit, technologies, arts et autres raffinements et ce, à travers la puissance politique et financière de la France. Savez-vous combien de livres scientifiques et culturels sont traduits dans ce pays, chaque année, depuis l'anglais, le russe, l'allemand, le japonais et le chinois, et qui enrichissent la langue française ? C'est un chiffre renversant qui oscille autour de quatre à cinq mille livres. Sommes-nous capables d'une telle œuvre ? Tous les pays arabes confondus ne parviennent pas à traduire une centaine de livres de langues étrangères par an. Au début de l'ère islamique, les Califes ont été les premiers à comprendre l'importance de la traduction en dotant Beït El Hikma d'éminents traducteurs de la langue grecque, romaine, byzantine et persane pour enrichir le savoir arabo-musulman qui avait rayonné plus tard durant des siècles sur une Europe obscure du moyen-âge. Il me semble que ceux qui dénigrent aujourd'hui la langue française ne le font pas par patriotisme, mais sont plutôt manipulés par des décideurs anglophones provenant du Golfe et autres contrées, jaloux de notre maîtrise de cette langue, car il est difficile pour celui qui parle l'anglais de s'adapter facilement au français. Certes, le français laisse de plus en plus des plumes, devant l'anglais qui puise sa propagation de la puissance militaire et financière des USA depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, mais reste quand même la cinquième langue après l'anglais, le chinois, l'espagnol et l'arabe et ce, grâce à l'acharnement de la France pour maintenir à flot sa langue en allouant des budgets importants à la francophonie et en tissant des relations étroites avec les pays de son ancien empire colonial. Il fut, hélas, un temps où la langue française était la langue diplomatique vu son raffinement et sa richesse jusqu'au milieu du 20ème siècle. Mais je juge à mon avis que la perte du prestige de cette belle langue repose sur trois points capitaux à savoir : Primo : l'alignement systématique de la politique française sur celles des USA dans des causes politiques, la plupart du temps, injustes envers les pays arabes. Il m'est arrivé souvent devant ces événements tragiques du Proche et Moyen-Orient de maudire ma connaissance de la langue française tant elle se montre invective et offensante vis-à-vis de ces dossiers à travers ses médias. Sans être rancunier j'impute cette attitude à des forces occultes qui ont la main-mise sur l'information. Secundo : au coût inabordable des livres et journaux français pour les citoyens des pays francophones. La France devra instituer une sorte de caisse de compensation pour réduire les prix au niveau des lecteurs non français, quitte à jouer sur la date de préemption du journal ou de la revue. Tertio : au manque de Centres culturels français à travers les grandes villes du Maghreb et d'Afrique francophone ou les gens peuvent se documenter. Heureusement que ces trois anomalies sont rectifiées peu où prou par des émissions culturelles télévisées comme : des chiffres et des lettres ou Questions pour un champion, le Maillon faible, Qui veut gagner des millions etc... et comportant en plus, un humanisme dénué de tout racisme. Il faut surtout souligner le charisme de ses présentateurs qui font que ces émissions soient suivie dans tous les continents. A-t-on vu dans les pays aussi riches que ceux du Golfe produire de pareilles émissions pour renforcer la langue arabe ? Monsieur le sociologue, bien que vous fustigiez le Tunisien qui utilise le français à la place de la langue arabe, les statistiques montrent qu'il existe trois quotidiens en français contre une quinzaine en arabe. Il est bien évident que la langue française a perdu beaucoup d'utilisateurs dans le Grand Maghreb depuis l'indépendance de cette entité due à diverses politiques réactionnaires, mais demeure tout de même, notre lucarne sur le modernisme. Cette perte d'audience n'a pas été prise à la légère, c'est pour cette raison que nous voyons la floraison de plusieurs chaînes françaises et européennes d'infirmations continues proposer des émissions en langue arabe pour mieux faire passer leurs propagandes ciblées. Ceci dit : apprendre une langue étrangère est toujours bénéfique, et renforce la compréhension et la paix dans le monde. C'est un pont entre les peuples que les chauvins veulent détruire. Abderrazak Sfaxi