Commençons par cette réminiscence qui tombe à pic : c'est l'histoire d'un adolescent qui, un jour en farfouillant dans une mallette personnelle de son père, tomba sur un cliché tiré du film « Hikayet hob », montrant Abdelhalim Hafedh et Maryem Fakhreddine en train de s'embrasser fougueusement. La photo lui plut, il la garda sur lui après avoir refermé la valise. Inutile de vous dire que le pubère la ressortait de sa cachette toutes les fois que sa libido l'y poussait et chaque fois que faiblissait autour de lui la vigilance des regards indiscrets. Une fois pourtant, c'était au collège, son manège fantasmatique fut découvert par un surveillant de l'établissement, qui plus est cousin germain de son père. Non seulement, l'adolescent écopa de quatre heures de colle mais à la maison, il reçut la fessée de sa vie ! Le papa récupéra ensuite « sa » photo sans que personne ne trouvât rien à redire quant à sa manie perverse ! Morale de l'anecdote : le vice des adultes est toujours le meilleur ! Dans la pénombre d'une salle obscure ! Les deux adolescents tunisiens qui viennent d'être condamnés à deux mois de prison pour, dit-on, des baisers échangés sur la voie publique, pouvaient pourtant s'épancher encore plus ardemment qu'Abdelhalim et Maryem Fakhreddine dans une salle de cinéma de la capitale sans que personne ne les ait interrompus et encore moins interpellés pour si peu ! Chez nous ce qui est permis dans une salle obscure ne l'est pas dans un coin de rue ou de jardin public. Remarquez qu'on ne s'embrasse pas dans nos théâtres, même quand l'espace est entièrement sombre. Seuls les fauteuils de cinéma semblent exciter les tourtereaux. Le film projeté a beau ne contenir aucune scène aguichante, les couples ne relâchent leur étreinte qu'une fois les projecteurs de la salle rallumés. Il arrive même qu'ils restent enlacés pendant les entractes. Nos adolescents ne vont pas au cinéma pour discuter de la crise du 7ème Art sous nos latitudes, ni pour apprécier les navets « 50ème vision » qu'on y passe. Ils fuient la mauvaise foi de leur société qui interdit les gestes d'amour en public et ne les tolère que lorsqu'ils s'accomplissent en catimini, dans l'ombre, sous la couette, derrière un bureau de D.G.A. ou dans une garçonnière de P.D.G. Censure d'un autre temps Pauvres jeunes gens des villes de l'intérieur qui n'ont pas de salles de cinéma où se bécoter. Il leur faut venir s'embrasser à Tunis et rentrer le soir dans leur province ! Là-bas, les baisers en public doivent coûter plus que deux mois de prison. C'est à peine s'ils peuvent se tenir par la main le jour du souk hebdomadaire de leur bourgade. Où donc se rencontrent-ils pour apaiser leur flamme érotique ? Tout simplement dans l'ombre, en catimini, derrière les haies de figues de barbarie ou dans l'appartement d'un ami. Et le baiser d'appeler le coït, et le coït de provoquer une grossesse indésirable, et la grossesse de nécessiter un avortement clandestin ou le mariage forcé. Bref des drames évitables sans cette culpabilisation du petit flirt de rue. Pour en revenir à Abdelhalim et à Maryem Fakhreddine, heureux qui comme eux pouvaient s'embrasser devant une caméra ! Certaines chaînes de télévision égyptiennes qui programment des films de ce temps-là osent même aujourd'hui les amputer au préalable de toute scène osée, de tout contact labial entre les acteurs. C'est ainsi que s'exerce la censure de 2013 sur les audaces de 1950 !!