Tunis tout court a fêté sa huitième édition les 6, 7 et 8 Mars. Cette manifestation consacrée au court-métrage organisée à l'initiative de l'ATPCC (Association tunisienne pour la promotion de la critique cinématographique) se veut depuis son lancement en 2004, une fenêtre annuelle sur un format très peu diffusé en dehors des JCC. Statistiquement, la production de courts-métrages a significativement augmenté ces dernières années grâce à la faveur. Si le nombre de films subventionnés est resté plus au moins le même, entre six et huit par an, la production des écoles de cinéma et du secteur « informel » (films autoproduits) constituent aujourd'hui l'essentiel de la cinématographie nationale. Cette tendance a été quelque peu freinée ces deux dernières années, le genre documentaire ayant supplanté la fiction. Situation prévisible, à un moment de notre Histoire où l'appréhension d'une réalité complexe et plus ouverte au questionnement relève d'un acte citoyen, de l'urgence politique. Contrairement aux éditions précédentes au cours desquelles toute la production ou presque était programmée, Tunis tout court cette année s'est limité à présenter une sélection de courts-métrages, douze au total répartis sur deux jours, les 6 et 7 Mars, le 8 Mars étant consacré à une table ronde sur la question du scénario dans le cinéma tunisien. Les deux programmes se sont avérés riches en enseignements quant à la situation du court-métrage en Tunisie et au devenir du cinéma en Tunisie. L'élément saillant est la variété des dispositifs et des approches que l'on retrouve dans les différents films présentés. Si un des maux du cinéma tunisien est sa propension au formatage, le jeune cinéma est en passe de rompre définitivement avec le cinéma de papa enferré dans son naturalisme bon teint. « Tunnel » de Karim Souaki, « Profondeurs » de Youcef Chebbi « Majnoun » de Hazem Berrabah, « Baba Noel » de Walid Mattar, et « La nuit de Badr » de Mehdi Hmili, films les plus en vue de cette huitième édition traduisent chacun à sa manière cette diversité prometteuse quant aux contours du cinéma à venir en Tunisie. Apre, dépouillé et sans paroles, le film de Karim Souaki, traite du quotidien d'un couple dans un bassin minier frappé par la malédiction de la mine et celle de la maladie qui condamne leurs enfants à mourir en bas âge. Visuellement prenant, en dépit de quelques béances au niveau du scénario, « Tunnel » arrive à installer une atmosphère qui nous amène à vivre à notre corps défendant le drame sans pathos ni folklore. Avec « Baba Noel » Walid Mattar retrouve la verve qu'on lui a connue avec « Condamnations » et des films qui lui sont antérieurs tels que « Awled el Fakrouna » et « Le cuirassé Abdelkrim » entre autres. Issu de la mouvance du cinéma amateur, ce jeune réalisateur traite de la question de l'émigration clandestine à travers un biais original, celui du père Noel. Un émigré clandestin tunisien exploité par son patron dans le bâtiment, trouve dans le déguisement en père Noel dans un centre commercial un moyen de gagner sa vie tout en étant dissimulé derrière la barbe et le costume qui fait rêver des millions d'enfants dans le monde. Un quiproquo le conduira à l'expulsion dans un dernier plan d'une puissance inégalée au cours duquel on le voit à Orly traverser latéralement le champ dans ses habits de père Noel suivi par une cohorte de compères tous encore dans leur déguisement. Réaliste, enlevé, affranchi de la gravité assommante des films sur le thème, « Baba Noel » ouvrira à son réalisateur les portes du long-métrage. Mehdi Hmili assoit dans « La nuit de Badr » une forme « Garrelienne » déjà en évidence dans son premier court-métrage « Lila ». Le moment révolutionnaire est appréhendé à travers la nuit qui va inéluctablement mener à la séparation entre un poète homosexuel tunisien et son jeune amant français. Traité dans un noir et blanc chiadé, l'image de Mehdi Hmili enserre les corps amoureux dans des cadrages où viennent se mêler pudeur et sensualité tendues vers ce hors-champ du film qu'est « La révolution ». Chef opérateur de profession, Hazem Berrabah en est à son troisième essai en tant que réalisateur. « Majnoun » présenté lors de cette édition de Tunis tout court est une adaptation libre de Majnoun Layla et les yeux d'Elsa d'Aragon. L'originalité de ce film réside dans le choix du réalisateur de nous donner à vivre cette quête par le biais de la danse. A travers une chorégraphie qui fait sourdre les tourments de « Majnoun », Hazem Berrabah réussit à accoucher d'un film convaincant en dépit de certaines longueurs. Le mérite de ce jeune réalisateur réside dans les risques qu'il a osé prendre pour se saisir à bras le corps d'un sujet maintes fois traité mais rarement de cette manière au cinéma. « Profondeurs » de Youcef Chebbi constitue probablement l'acte de naissance du film de vampire en Tunisie. Maîtrisant à la perfection les codes visuels et sonores du genre, le réalisateur nous donne à voir les déambulations nocturnes et diurnes d'un vampire (incarné par Kamel Laaridhi réalisateur de son état dont on découvre ici les qualités de comédiens). Cette incursion dans le territoire du genre et la réussite de Youssef Chebbi à l'acculturer ouvrent des perspectives intéressantes pour d'autres cinéastes pour qui les films de genre constituent l'essentiel de la culture cinéphilique. Dommage que le film en soit resté à la forme, le vampirisme renvoyant généralement à une dimension politico-sociale qui l'excède et dont il est question dans « Profondeurs » mais d'une manière insuffisamment développée. L'espoir est donc permis pour une cinématographie enjointe à se remettre en question après presque deux décennies de léthargie.