Eugène Ionesco est sans doute l'un des auteurs le plus adapté au théâtre. Ses œuvres sont devenues de grands classiques. Son théâtre est ancré dans la réalité sociale et culturelle de son époque mais qui est resté très actuel. L'autre soir, l'espace Artisto sis, rue de Damas, nous gratifiait d'une représentation d'une pièce "La leçon" adaptée par Ghazi Zoghbani, d'après le texte du même titre d'Ionesco. Il s'agit de l'histoire d'un vieux professeur qui reçoit chez lui une jeune bachelière pour lui donner des cours. Au fil du temps, les cours augmenteront en difficulté et l'élève ne comprendra plus le maître, qui deviendra de plus en plus agressif, tandis que la jeune élève va devenir petit à petit un objet mou, inerte, épuisé. Un fossé de connaissances les séparera finalement et c'est le maître qui finira par tuer son élève. À noter que cette élève sera la 40ème victime du maître de la journée. La pièce tourne sur la question du pouvoir qu'exerce le maitre sur son élève. A partir de situation banale, Ionesco puise dans le comique notamment au niveau de la langue pour tourner en dérision l'ambiance qui aussitôt tournera au cauchemar selon les règles parfaites de l'humour noir. Ionesco, auteur roumain né en 1909 et mort en 1994, a écrit "La leçon" en 1950, la même année que sa première œuvre dramatique "La cantatrice chauve". Ses œuvres se caractérisent par le non-sens et le grotesque mais recèlent une portée satirique et métaphysique. Ghazi Zoghbani, qui a déjà mis en scène "La cantatrice chauve" du même auteur-dramaturge, tente d'être fidèle au texte original en mettant en relief tous ses contours. Utilisant le dialecte tunisien, le metteur en scène a traduit le texte d'Ionesco en lui donnant une actualité proche des préoccupations des spectateurs tunisiens. Deux personnages antagonistes interprétés par Nooman Hamda et Syrine Belhédi, ainsi qu'un valet Néjib Ben Khalfallah dont les apparitions sont limitées, forment ce monde clos où les valeurs sont déterminées par le degré de savoir et de connaissances de chacun. Cela apparait dans les tenues vestimentaires de chacun des protagonistes. Le prof austère dans son costume de couleur foncée et la jeune élève pimpante dans sa robe fleurie. La tension entre les deux protagonistes monte au fur et à mesure qu'évolue la leçon. Sereine au début, elle deviendra coléreuse, pour atteindre à la fin une brutalité inattendue. Le verbe donne plus de pouvoir au professeur et révèle ses désirs refoulés. Le cours dévie de ses objectifs et prend des allures de plus en plus dramatiques. L'élève qui dominée au départ par son dynamisme, sa fragilité et sa naïveté devient sous le charme obnubilant du maitre, passive et consentante. Elle sent à un moment peser sur elle une menace inquiétante qu'elle incarne par un mal de dents insupportable. Son consentement aux demandes du prof montre ses limites et son inconscience par rapport aux intentions pernicieuses de celui qui deviendra son agresseur. Le prof lui, imbu du savoir qu'il détient, n'arrive pas à contenir ses émotions et perd son contrôle et le laisse choir dans une puissance dont il prend conscience petit à petit. Il passe ainsi tour à tour de l'état d'emprise sous le charme de l'élève à un stade dépressif qui le conduit à la domination de sa victime. Progressivement, la pièce prend une tournure tragique chorégraphiée par le metteur en scène en une danse érotique, le tango, qui évolue vers la corrida où le bourreau poursuit sa victime jusqu'à l'effondrement qui conduit au meurtre. Pris dans un engrenage impitoyable le prof retrouve sa personnalité à la fois ange et monstre.