Que dirait-on à Diderot aujourd'hui, nous, enfants des Lumières ? Régis de Martrin-Donos et Muriel Brot ont imaginé dans Diderot Bagarre la rencontre impromptue du philosophe avec un jeune éclairagiste de théâtre, voyageur et fan de l'auteur de l'Encyclopédie. «Vous êtes mon auteur préféré ! Je vous ai même eu au Bac...» C'est à partir de la correspondance du philosophe que se construit l'intrigue, des lettres échangées avec l'amante Sophie Vollant, l'ami Jean-Jacques Rousseau, le frère l'abbé Diderot... Autant de conversations qu'il y a de thèmes abordés : peut-on prétendre à l'amour en même temps qu'au plaisir de la chair ? Quelle solitude vaut-elle le mieux : celle isolée dans les champs ou celle induite par une multitude de gens ? Le religion est-elle vraiment gage de vertu ? Des interrogations qui demeurent au fil des siècles et qui taraudent encore les jeunes esprits éclairés. La pièce commence dans le noir, à la sombre époque où les esprits étaient perdus dans l'ignorance et les philosophes enfermés en prison. Puis apparaît une petite lueur : la flamme d'une bougie révèle le visage de Diderot et une minuscule scène carrée entourée par les spectateurs. L'éclairage est d'ailleurs le parti pris de la mise en scène : le jeune technicien ayant pour fonction de ranimer les ampoules défaillantes qui empêchent la perception du jeu théâtral, quand le grand maître des Lumières, éclairé aux chandelles, a pour objectif suprême de générer un incendie à partir des quelques flammes de l' «intelligence encyclopédique». La rencontre est éclatante entre ces deux « commis aux Lumières ». Presque autant que les ampoules et autres néons qui s'accumulent aux quatre coins de la scène, jusqu'à violenter les yeux du spectateur et dont le message est explicite : encore aujourd'hui, les idées des Lumières sont éblouissantes. Les deux comédiens, Jean-Baptiste Marcenac et Quentin Moriot, nous proposent – sur le carré rouge du ring - une joute verbale implacable, dans une diction impeccable. Diderot, grisonnant, en costume d'époque, arbore un parler délicat et une articulation attentive. Son jeune interlocuteur - qui restera anonyme – se pavane dans une veste en jeans et un vocabulaire contemporain. Les savoirs se complètent et les avis fusent. Les deux hommes dialoguent chacun avec les mots et les références de leur époque, et se souviennent des évènements important de la vie de Diderot qui mettent en lumière des traits de son caractère : son passage en prison à Vincennes, son courage à dire la vérité quand tous voudraient le faire taire et sa lâcheté aussi, sa peur de l'Etranger, de l'Autre. Le théâtre, lieu de tous les possibles, assure ce combat de générations et d'idées entre les deux personnages dont la complicité détonne. Traversée dans le temps et dans l'histoire des idées, la pièce rappelle pourtant que dans le voyage, dans l'espace comme dans le temps, «on s'emporte toujours avec soi».