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Hussein Boujarra : « La langue de bois empruntée par les hauts responsables nous rappelle une méthode qui était utilisée par l'ancien système » L'invité du dimanche
Les universitaires sont en colère à cause de ce qu'ils appellent la politique d'atermoiement. Face aux reports indéfinis de l'application d'accords signés pas l'autorité de tutelle et de ses rétractations récurrentes et systématiques, leur syndicat décrète la grève pour jeudi 25 avril prochain. Leur secrétaire général, que nous avons invité pour vous cette semaine, est catégorique, ils ne se fieraient plus aux promesses du ministère, dorénavant, ils sont déterminés à passer à l'action pour lui imposer le respect de ses engagements et la concrétisation de leurs réclamations qui touchent non seulement des questions d'ordre matériel, mais concernent, également, le volet moral et pédagogique tels que la réforme du système universitaire et les libertés académiques. Ecoutons-le : -Le Temps : parlons, tout d'abord, du contenu de votre règlementation professionnelle. -Mr Boujarra : le conseil sectoriel s'est tenu samedi dernier pour traiter l'activation des accords conclus avec l'autorité de tutelle sous leurs aspects matériel et moral. On a voulu qu'elle soit en relation directe avec la conjoncture actuelle et ses exigences. Nos réclamations matérielles sont contenues dans le premier accord signé en date du 20 avril 2012 dont les points essentiels sont l'activation de l'accord précédent signé par l'ex ministre, Mr Chaâbouni, et des comités de négociations concernant plusieurs questions et, en particulier, la prime de la rentrée universitaire dont il était convenu qu'elle serait versée au plus tard au mois de janvier 2013 et dont les négociations relatives à la fixation de son montant ont été suspendues. Nous avons, également, un autre accord signé en date du 1er décembre de la même année parle d'augmentations en faveur des universitaires pour les efforts qu'ils ont consentis dans le cadre de l'application du système LMD, qui sont aux environs de 20%, ramenés à 25/26% en raison de la hausse des prix, et qui sont connues sous le nom de la prime des 70 dinars. Aucun de ces deux accords n'a été appliqué. On a, déjà, convenu avec le ministère que ce dernier serait appliqué au mois de mars 2013 comme date ultime et jusqu'au jour d'aujourd'hui on attend la concrétisation de cette promesse. Et quand ont commencé les protestations de la part de la Fédération Générale, le ministère a publié un avis en date du 8 avril 2013 dans lequel il a déclaré que, théoriquement, il ne s'est pas rétracté au niveau des accords, mais que, sur le plan pratique, il existe des difficultés se rapportant aux procédures administratives. Alors qu'on sait très bien que le délai d'application de pareils accords dans tous les ministères ne dépasse pas les 3/4 mois, et malgré cela, on en leur a accordé 5 et toujours rien. -Et comment se présente la situation actuellement ? -L'autorité de tutelle a publié un autre avis dans lequel elle prétend que les augmentations requièrent la consultation d'une commission administrative, l'accord du ministre des finances et la signature du chef du gouvernement, choses qui ont eu, déjà, lieu à la conclusion de l'accord, c'est-à-dire le 1er décembre. Nous ne sommes pas disposés à renégocier des questions qui sont tranchées et signées et nous en demandons l'application. On considère que ces rétractions relèvent de la politique d'atermoiement qui est, d'ailleurs, généralisée, étant donné qu'on la trouve dans tous les autres ministères. La question dépasse le cadre de notre ministère et se pose, donc, à l'échelle nationale, et vise l'UGTT, pour vous y édifier, sachez que sur les 151 accords, un seul a connu un dénouement favorable. Cette politique de procrastination est à imputer au gouvernement actuel qui veut exploiter la situation que traverse le pays depuis la crise du gouvernement de Hamadi Jebali et qu'il veut, maintenant, éterniser en revenant sur ses engagements comme il l'a fait à propos d'autres textes se rapportant à la violence et à des problèmes d'ordre politique. Nous allons riposter contre cette politique, au niveau de la FGESRS, par une série de grèves. -Est-ce que vos problèmes sont seulement d'ordre matériel ? -Pas du tout, ils touchent, également, le volet moral, et c'est ce qui nous déçoit encore plus. Dans ce chapitre, il y a, notamment, les atteintes aux libertés académiques. Le ministre a évincé un professeur élu dans des comités de recrutement, ce qui ne s'est même pas produit dans le système dictatorial précédent, alors que la loi stipule que dans le cas où quelqu'un d'élu commettrait une infraction, on devait le faire comparaître soit devant la justice, soit devant le conseil de discipline, les deux instances habilitées à lui infliger des sanctions. Il est inadmissible que le ministre prenne une décision en solo qu'il fait doubler d'une autre consistant à nommer une autre personne à sa place qui ne s'est jamais présentée à des élections sans même se concerter ni avec, les comités de recrutement, ni avec le syndicat. D'habitude, quand il existe un différend entre le membre des comités et le professeur qui désire accéder au grade supérieur ou celui qui présente sa candidature pour un poste, on le persuade de ne pas assister à la séance et il reprend, par la suite, ses fonctions au sein du comité. Ce qui vient de se produire préfigure une menace un acquis majeur de l'université tunisienne consistant dans le recours à la volonté des professeurs par la voie des élections. Ces appréhensions se justifient davantage par les déclarations nombreuses et récurrentes du ministre à propos des réformes qu'il compte entreprendre, personnellement, au sein des comités de recrutement. Un autre exemple de cette immixtion dans les affaires universitaires vous donne une idée sur l'ampleur de ces dépassements et des menaces graves que nous courons, il est question de ce qui s'est passé dernièrement à l'université de Kairouan où l'autorité de tutelle a nommé un nouveau directeur lors d'une séance qu'ils ont appelée consultation sans préciser qu'il est question d'en élire un autre pour l'établissement et sans organiser des élections exceptionnelles. Cette séance était précédée par un appel à une réunion lancé par le gouverneur régional et à laquelle ont pris part un certain nombre de professeurs dont des structures syndicales et le chef du cabinet de Mr le ministre, alors que celui-ci ne devait pas assister à ce genre de réunions, mais devait prendre l'initiative pour en organiser une entre les deux parties soit à cette université, soit au ministère pour résoudre les difficultés existant entre nous. Depuis quand, les universitaires résolvent leurs problèmes dans les bureaux des gouvernorats ? Est-ce qu'on est passé à l'époque des gouverneurs et renoncé aux structures pédagogiques élues et à l'indépendance de l'université ? Actuellement, nous sommes en train d'essayer de trouver une solution consensuelle avec le recteur qui est élu par ses collègues. Nous ne sommes pas prêts à nous taire sur ces dépassements dangereux d'autant plus que le ministre a déclaré, au début du mois d'avril en cours, sur les colonnes d'un journal électronique, qu'il n'a jamais empêché une « nikabée » d'entrer dans les salles d'examens, ni dans les espaces universitaires et que les responsables la polémique suscitée autour de la question étaient les professeurs et les structures pédagogiques élues. Ce qui est une invitation à ces groupes d'étudiants et des non étudiants pour attaquer de nouveau l'université et les universitaires, et ils n'ont pas tardé à donner suite à son appel, puisque une « Nikabée » de l'institut des langues vivantes de Tunis a essayé d'incendier un amphithéâtre pour lui avoir interdit l'entrée dans la salle de cours. On a conclu un accord avec le ministre à ce propos après toute une année de lutte et des offensives violentes que l'ensemble du peuple tunisien connaît avant même que ceux-là n'attaquent la société civile, les villages, les villes, le drapeau… Après tout cela, Mr le ministre se rétracte, et voilà qu'aujourd'hui on assiste à un regain de la violence, ce qui met au grand jour la présence d'une coordination, du moins inconsciente, entre les deux parties. Nous considérons que ces atteintes représentent une ligne rouge, nous ne permettons pas ce que nous avons refusé lors du système dictatorial précédent, et je dis précédent, car il y en a un autre qui suit. Nous jouerons, pleinement, notre rôle, en tant qu'universitaires et qu'UGTT, pour défendre les intérêts des salariés et des professeurs ainsi que nos droits et libertés que nous avons conquis depuis des décennies. -Comment allez-vous vous comporter face à ce procès-feuilleton du doyen Habib Kazdaghli ? -Je voudrais préciser qu'en tant que partie syndicale nous avons essayé de comprendre cette question et de la dépasser autant que possible, parce qu'elle n'est pas un problème essentiel fondamental pour l'université, ni pour les universitaires, ni, d'ailleurs, pour les étudiants. Ces « Nikabées » ne représentent même pas 1/000, alors, pourquoi il y a des parties qui veulent en faire une cause centrale dans l'université tunisienne ? Je rappelle à ce propos que, lors de la dernière réunion du conseil des universités, Mr le ministre a demandé aux recteurs, et en particulier ceux dont les établissements ont émis un règlement intérieur interdisant l'entrée à l'enceinte universitaire à quiconque ayant le visage dissimulé, de suspendre cette décision pendant 2/3 mois. Les recteurs ont refusé cette demande qu'ils ont considérée comme étant une ingérence flagrante dans les prérogatives des instances pédagogiques élues. Je saisis l'occasion pour les saluer pour leur prise de position et j'estime, en même temps, que ce comportement de la part de Mr le ministre apporte une preuve supplémentaire qui s'ajoute aux précédentes et comporte de nouveaux indices sur sa politique consistant à étouffer et à encercler les libertés académiques dans l'université tunisienne et qui coïncide avec celle d'atermoiment concernant les réclamations matérielles. Pour revenir au procès de notre collègue, je rappelle que nous en sommes à la septième audience, au cours de laquelle, on a clos les travaux relatifs à l'audition des témoins et aux documents, et que le verdict sera pour le 2 du mois prochain. Ce jugement donne la preuve qu'il y a une mauvaise intention de la part du procureur de la République de la Manouba, sachant que ce plan représente l'instrument à travers lequel se réalise l'immixtion, de façon indigne, du pouvoir exécutif dans les affaires de la justice. Et à ce propos, on rappelle que la réforme de ce secteur n'a pas eu lieu jusqu'à aujourd'hui et ce jugement en est la preuve parfaite. Ce harcèlement a touché d'autres collègues se trouvant dans des structures pédagogiques élues et plusieurs syndicalistes à l'image de ceux de l'institut de la musique de Sousse pour avoir déclaré que la politique menée par leur directeur se caractérisait par son aspect dictatorial et l'irrespect du principe de consultation, et des syndicalistes de la faculté des sciences de Tunis pour avoir protesté contre l'attribution du grade de professeur émérite à des éléments qui appartenaient au parti au pouvoir, le RCD, et qui étaient connus pour leur corruption. Cette politique d'ingérence ainsi tend à museler les gens et à susciter la peur chez eux pour qu'ils n'abordent plus toutes les questions se rapportant aux champs pédagogique, syndical et politique. L'autorité de tutelle partage, bien évidemment, la responsabilité de cette situation, par son silence vis-à-vis des plaintes contre la violence physique et morale déposées par les professeurs auprès du procureur de la République qui refuse de las transmettre à la justice sous prétexte qu'elles manquent de sérieux. -Ne voyez-vous pas que le report du verdict au début du mois prochain est une manière de perturber les examens de la fin d'année ? -Le choix des dates des premières audiences suscitait beaucoup de soupçons, étant donné que l'une était un jour avant la fête du sacrifice et une autre, un jour après la fête de la rupture. Ces choix n'étaient pas innocents, c'était comme s'ils voulaient mettre fin à la grande mobilisation des universitaires. Mais ,maintenant, ils commencent à réaliser qu'ils se sont, complètement, impliqués dans cette affaire et qu'ils se sont attiré beaucoup d'ennuis, c'est pourquoi je pense que, le 2 mai, le doyen sera acquitté. Ce qui milite en faveur de cette thèse c'est le sérieux qui a marqué les deux dernières audiences où on a traité les documents et entendu les preuves audiovisuelles présentés par la défense de Mr le doyen et qui donnent la preuve irréfragable que c'étaient les agresseurs qui ont pris d'assaut et saccagé le bureau de ce dernier et non pas le contraire comme le prétendent ses accusateurs. -Est-ce que vous voyez que ce changement de politique de la part de la justice est rassurant quant à l'avenir de l'université ? -Ces indices positifs concernent, seulement, la structure judiciaire qui réagit, enfin, et fait face à toute instrumentalisation politique déclarée de la justice. Pour ce qui est de l'autorité de tutelle, c'est tout à fait le contraire qui se produit, elle ne cesse d'envoyer des messages, extrêmement, négatifs comme je l'ai expliqué précédemment. Sa politique à l'égard de l'université et des universitaires n'augure rien de bon que ce soit au niveau de ses rétractions récurrentes, que ce soit sur le plan de son immixtion dans les prérogatives pédagogiques et les activités syndicales des enseignants. Il paraît qu'il y a une intention d'escalade de sa part et aussi de la part du gouvernement envers l'UGTT à cause du renforcement de son poids par le rôle qu'il joue pour la défense des droits des différents secteurs professionnels et de libertés, ainsi que pour sa détermination à lutter contre la violence quelle qu'en soit la nature surtout après l'assassinat du martyr Chokri Belaïd. -Mais la menace qui pèse sur le système éducatif aussi bien au niveau de l'université qu'au niveau des autres niveaux d'enseignement est miroitée par d'autres parties qui en préconisent un autre. -En réalité, on a précédé toutes ces tentatives et on a inséré dans nos plus importantes réclamations la réforme du système universitaire et on a considéré que la situation qu'elle vit est très grave. En témoignent les classements mondiaux où nos universités occupent les derniers rangs sur les plans international et africain. Et la langue de bois empruntée par les hauts responsables du ministère qui doutent de ces paramètres nous rappelle une méthode qui était utilisée par l'ancien système. Dans le cadre de la réforme, on a réussi à constituer des comités représentant les syndicalistes, les professeurs élus au sein des structures pédagogiques depuis les sections et les conseils scientifiques jusqu'aux recteurs. Ces comités sont en train de travailler, on était, il y a quelques jours, à Kairouan où on a traité deux questions principales, la première se rapporte à la carte universitaire et à la nécessité d'en concevoir une nouvelle qui ne soit pas élaborée sur la base de considérations et de paramètres politiques étriqués ou des demandes d'un régionalisme mesquin n'ayant aucun rapport d'une université nationale. Nous avons, également, traité le système LMD dont l'application a causé la dégradation du niveau scientifique. Le taux de participation des professeurs et des représentants pédagogiques à ces travaux que nous avons réalisés dans les universités du centre du pays confirme qu'il ya une demande sérieuse de réformer le système universitaire et un engagement de la part des bases du corps enseignant à participer à cette opération et une détermination de leur part à ce qu'elle émane de la base et non pas d'en haut. Je souligne que ces comités sont implantés dans tous les établissements où ils ont tenus d'organiser des réunions et des consultations avec les professeurs à propos de toutes les questions, après quoi, ils transmettent les recommandations à leurs universités respectives qui organisent des colloques au niveau local en vue de reformuler ces exhortations et de tenir des forums nationaux pour qu'on arrive, en définitive, à des feuilles de travail comprenant des recommandations claires et précises dans tous les domaines de l'enseignement supérieur. Du côté de l'autorité de tutelle, la procrastination est, bien sûr, de mise ainsi que les tentatives de ralentir la cadence de cette réforme. Dernièrement, on a protesté contre son refus d'organiser une réunion pour la réforme du système universitaire en raison de l'indisponibilité de Mr le ministre qui n'est pas en droit de reporter cette question très urgente pendant 2/3 mois, il peut très bien se faire suppléer par quelqu'un d'autre, ce qui prouve qu'il n'y a pas une volonté sincère de la part du ministère de procéder à cette réforme. En tant que syndicaliste, nous avons fait face à toutes les initiatives venant de l'extérieur et visant à faire dépendre l'université tunisienne de modèles n'ayant aucun rapport ni avec celle-ci, ni avec la société tunisienne, ni des libertés que nous avons conquises. En cas où l'autorité de tutelle n'assumerait pas son devoir, elle nous donnera la preuve qu'elle appartient à l'ancien système et qu'elle est en train de le reproduire. -Etant donné que le système éducatif est un tout indissociable, est-ce que vous comptez coordonner votre action avec l'enseignement de base et l'enseignement secondaire pour que la réforme soit générale ? -Nous sommes en train de discuter les formules pratiques susceptibles de permettre cette coordination. Le problème c'est que le ministère de l'éducation n'a pas emprunté la méthode que nous avons appliquée et que nous avons imposée au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, c'est-à-dire la méthode démocratique, comme je l'ai expliqué plus haut. Entretien réalisé par Faouzi KSIBI