Les œuvres de Emna Masmoudi, exposées à la galerie El Marsa, nous font penser au poète Saint John Perse et à son poème « Equinoxe » car c'est bel et bien un équinoxe pictural, une symbiose artistique qui accueille le visiteur. Un équilibre fragile, « sur le fil… », comme l'a intitulé l'artiste. Sous ce titre générique, Emna Masmoudi regroupe des dessins, des toiles et des sculptures à découvrir jusqu'au 05 mai prochain… De prime abord, le visiteur qui franchit le seuil de la galerie est plongé dans l'univers de Emna Masmoudi à travers la palette caractéristique de l'artiste. En effet, les couleurs chaudes et automnales accueillent le regard du flâneur avisé ou du curieux. La teinte ocre, les chromatiques terre, le rouge velouté ouvre la porte de l'entre deux, d'une rêverie incertaine qui se perd lorsque disparaissent les contours d'un monde réel. A cette chaleur vient s'ajouter la sérénité des coloris froids. Le bleu ou le gris viennent habiller la toile, lui conférant la profondeur mystérieuse des eaux. On se laisse volontiers transporter au loin sur une onde mouvante. Les variances chromatiques nous place dans un monde qui semble se dérober sous les pieds des personnages. Ces derniers sont des silhouettes qui se détachent sur la masse colorée. En équilibre sur un fil, ils semblent basculer à tout moment dans l'inconnu. En groupe ou solitaires, ils dessinent les contours d'un mouvement involontaire qui confère à l'ensemble de l'œuvre sa propre dynamique intrinsèque. En équilibre, ces personnages offrent un spectacle haut en couleur, une acrobatie ou une danse de pantomime plaisante en amont mais qui donne à réfléchir sur la condition humaine en aval. Emna Masmoudi dépeint ainsi un monde de sensations où la volupté se mêle au tragique de l'existence. Une existence qui passe non seulement par le dessin et la peinture mais également par la sculpture. Des funambules, des acrobates ou des passagers clandestins se font une allégorie de l'équilibre précaire d'une vie en suspend ou en devenir. Espoir et désespoir se font écho sur le visage de ces personnages. Leurs traits témoignent d'une souffrance sans conteste. Ils sont pris dans leur abattement. A l'allure fière ou avachie, ils sont à la lisière d'une frontière ténue entre vrai et vraisemblable. En couleur terre, ils en rappellent celle des origines : l'Afrique peut-être ou toutes ces contrées qui ont connu, un jour les affres de l'inconnu. Lorsqu'on arrive au bout de cette transcendance de l'histoire et que l'œil émergeant d'une toile soutient le notre, on sent sur nous le regard interrogateur de l'artiste. On se sent épier à notre tour. On se retrouve personnage de cette plongée au plus profond de l'inconscient. On se transforme à notre tour en danseurs de cordes, s'apercevant qu'à notre insu, on a participé à l'œuvre initiale et l'existence en devenir. L'« équinoxe […] entre la terre et l'homme » se veut dès lors une quête de soi. En embrassant une dernière fois d'un regard furtif toiles et sculptures, on s'aperçoit que « tout n'était que règnes et confins de lueurs » comme le dirait encore Saint John Perse. Règnes de l'homme qui tend vers la liberté dans des confins de lueurs dictés par le jeu des coloris révélant l'étant et le souhaité ; le tout traduisant une existence à parachever qu'annonce Emna Masmoudi à travers les trois points de suspension du titre. Une existence qui reste à combler ou qui serait prête à recommencer dans la perception sensible de l'artiste…