Par Mustapha ZOUBEIDI C'est ce jeudi, dernier du mois de mai que, selon une tradition trois fois centenaire, vont débuter ce qu'on appelle communément « les semaines de Sidi Belhassen ». Il s'agit d'une série de quatorze visites au sanctuaire situé au sommet de la colline du Jellaz, étalées sur les quatorze semaines que comporte l'été. Une manifestation sous des dehors festifs et bon enfant qu'une frange des habitants de la capitale tient à y participer comme elle l'a vu faire aux générations qui l'ont précédée. Mais la vraie raison de ces visites estivales sont moins profanes en réalité, car une bonne partie de ceux qui escaladent la colline et qu'on appelle les initiés, le font pour rencontrer l'Esprit Mohamedien qu'ils sont persuadés de pouvoir rencontrer. Car instruits par l'hagiographie, ils savent que, lors d'une de ses retraites dans ce lieu, il y a huit siècles, Aboulhassen a vu en rêve le Prophète lui promettre qu'il le visitera une fois par an, jusqu'à la fin des temps, en été, la veille d'un vendredi. C'est pour cette raison qu'une fois la nuit tombée, les initiés accomplissent un rituel qu'ils ne cessent de faire à l'aube de chaque samedi durant toute l'année dans une salle de prière en contre-bas du Maqam, érigée au dessus d'une grotte au profil hautement symbolique. Rituel immuable fait de lecture collective du Livre Saint, d'oraisons (Ahzab) à la gloire de l'Unique et d'une séance de Dhikr où seul le nom de Majesté remplit le silence de la nuit. Ainsi liesse populaire et recueillement se juxtaposent par tradition familiale ou quête diffuse d'une Baraka que ce haut lieu est censé détenir. Une double façon d'exprimer l'attachement à des coutumes que les ancêtres ont instituées. Une démonstration de la spécifité d'un Islam qu'en Tunisie on a voulu diversifié dans son expression spirituelle mais dont les obligations scripturaires sont strictement observées. Une manifestation affective qui s'identifie à une authenticité et une action que l'élite va chercher la raison dans la pure spiritualité. Une véritable symbiose entre la spéculation savante et l'hagiologie populaire. Parallèlement à cette notion qu'a le tunisien du spirituel, il faut, à notre avis mettre en exergue la fonction du Chadhilisme dans le contexte de notre pays. Cet ordre ésotérique, aujourd'hui universel c'est Tunis qui l'a vu naître au début de VIIe siècle de l'Hegire et c'est Tunis qui a fourni à son fondateur son patronyme de Chadhili, dérivé de l'appellation d'une bourgade de sa périphérie. Tunis qui se distingue par le Maqam, cette imposante bâtisse qui tel un vigile protecteur, domine une immensité de sépultures, mais ne contient ni tombeau de l'éponyme ni reliques ostentatoires. Un haut lieu qui, avant d'être reconstruit par Mustapha Khaznadar au XVIIIème siècle a, sous diverses formes traversé les âges depuis la haute antiquité et soumis à la garde du Prophète Idriss, élevé au quatrième ciel. Réalité qui ne peut être expliquée et qu'à défaut de pouvoir le faire rationnellement, les initiés laissent à la métaphysique, tous ses droits pour les justifier. Mais là est une autre histoire que seuls les arifines billah détiennent le secret. Ces connaissants par Dieu n'affirment-ils pas d'autre part que si Tunis, à travers l'histoire, a toujours vu la gravité de l'épreuve qu'elle devait subir, notablement atténuée, c'est grâce au privilège qu'à ce Maqam d'être placé sous le nom divin d'El Latif. Un Maqam qui recevra dès ce jeudi une multitude où chacun a ses propres raisons d'y aller. Du simple visiteur soucieux de perpétuer une coutume à l'initié plus concerné par ce que définissait Ibn Attallah, deuxième successeur d'Aboulhassen, comme une voie de plénitude et de conduite suprême vers Dieu. Aujourd'hui où plus que jamais le temps est plein d'incertitude, où l'Islam qu'ont connu les tunisiens depuis si longtemps est menacé d'agression venue de l'extérieur, alors que d'autres, pour exprimer leur foi croient devoir adopter la fureur dans le verbe, l'excentricité dans l'habillement et dans le geste la violence, nombreux sont dans notre pays, ceux qui abreuvés à la source de la spiritualité, ont choisi de vivre leur foi selon ce que leur ont légué leurs ancêtres : la modération dans le verbe et dans le comportement, l'humilité.