L'initiative visant à rassembler les Destouriens et les membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) lancée le 30 mai dernier par l'ex Premier ministre de Ben Ali, Hamed Karoui, commence à sortir des cartons. Selon des sources proches de l'ex directeur du Parti Socialiste Destourien (PSD), plusieurs partis issus du PSD et de son successeur, le RCD, se sont réunis à la fin de la semaine écoulée pour débattre de cette initiative. Il ressort de cette réunion que tous ces partis ont approuvé la création d'un mouvement destourien ouvert à tous les destouriens et les RCD-istes non impliqués dans des affaires de corruption. La coalition baptisée «le Front Destourien» qui regroupe six partis réunis autour du secrétaire général du parti Al-Moubadara (L'initiative), et ex ministre des Affaires étrangères, Kamel Morjane figure parmi les ardents défenseurs de ce projet. D'autre part, Hamed Karoui multiplie les contacts, selon ses proches avec des anciens caciques du PSD et du RCD, dont Abderrahmane Limam, ancien gouverneur de Sousse et Abderrahim Zouari, ex-ministre des Transports. Ces diverses réunions devraient déboucher sur l'annonce de la création d'un large front constitué de formations se réclamant de la mouvance destourienne ou bâties sur les cendres du parti de Ben Ali dissous par la justice, au Moment où un projet de loi les excluant de la vie politique est soumis à l'Assemblée nationale constituante pour discussion et approbation ! Le projet de loi sur l'immunisation politique de la Révolution ne semble pas, toutefois, inquiéter outre mesure Hamed Karoui et ses troupes. Et pour cause : le front qui sera créé par l'ex Premier ministre (189-1999) sorti du bois après avoir fait profil bas durant les deux années ayant suivi la révolution pourrait s'engouffrer par une brèche qui serait ouverte aux anciens membres du RCD qui acceptent de faire leur auto-critique et demander pardon auprès du peuple. Reconnaître les erreurs du passé Aux dernières nouvelles, la loi stipulant l'exclusion des responsables de l'ancien régime de la vie politique pendant sept ans pourrait faire l'objet de nouveaux réaménagements. C'est, du moins, ce qui ressort des dernières déclarations des responsables du mouvement islamiste Ennahdha. Ce parti dont les dirigeants ont, un temps, plaidé pour la mise à l'écart des anciens cadres du RCD et des responsables sur lesquels pèse un soupçon de corruption par le biais de la justice transitionnelle semble avoir opté pour une position médiane : adopter la loi controversée tout en tentant de limiter au maximum le nombre des personnes concernées par l'exclusion. «Nous sommes favorables à la limitation du nombre des responsables de l'ancien régime qui seront touchés par loi sur l'immunisation de la Révolution. Nous cherchons à nettoyer les plaies du passé au moindre coût et loin de tout esprit de vengeance », a déclaré le leader du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, le 7 juin. Et d'ajouter : « nous comptons aussi ouvrir la voie à l'évaluation, à l'autocritique et la demande du pardon auprès du peuple tunisien». Cette brèche qui serait ouverte dans la loi sur l'immunisation de la Révolution semble taillée sur les mesures de Hamed Karoui et ses alliés. L'homme a déclaré, le 17 juin, dans un entretien accordé au quotidien Attounissia que « les destouriens et les RCD-istes n'ont aucun mal à reconnaitre leurs erreurs », citant à titre d'exemple la dérive autoritaire de l'ancien régime et la non-mise en place d'une démocratie. Même si le mécanisme du pardon contre le droit à la participation à la vie politique ne sera pas instauré, Hamed Karoui compte sur le caractère anti-constitutionnel de la loi sur l'immunisation de la Révolution. «La cour constitutionnelle annulera de toutes les façons cette loi», a-t-il confié récemment sur les ondes de Mosaïque FM. Concurrencer Nida Tounes Selon certains observateurs, le nouveau front qui sera dirigé Hamed Karoui pourrait être un concurrent sérieux pour un autre parti qui se réclame de la mouvance destourienne, en l'occurrence Nida Tounes (l'appel de la Tunisie), une formation fondée par l'ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi et qui jouerait des coudes avec le mouvement islamiste Ennahdha, vainqueur des élections du 23 octobre 2011, selon les sondages réalisés au cours des derniers mois. Durant ses dernières apparitions médiatiques, Hamed Karoui semble avoir tenu un discours hostile à Nidaâ Tounes. « Aucun destourien libre ne peut adhérer à Nidaâ Tounes. Personnellement, je n'ai pas intégré le parti de mon ami de longue date Béji Caïd Essebsi, car on m'a fait comprendre que les Rcdistes ne sont pas les bienvenus, qu'ils ne représentent qu'une petite minorité au sein de ce parti. Je suis Destourien et fier de l'être et je n'ai pas à me faire petit, tel qu'on nous a soufflé de faire», a-t-il indiqué. Saisissant la portée de ce message à travers lequel Hamed Karoui fait les yeux doux aux quelque 2 millions de membres de l'ex parti de Ben Ali, le président de Nida Tounes a indiqué tout récemment que son parti n'a pas l'intention d'exclure les Rcdistes non impliqués dans des affaires de corruption. Béji Caïd Essebsi a également indiqué qu'il est prêt à céder la présidence de son parti à Hamed Karoui s'il le demandait. Mais Hamed Karoui a poliment rejeté l'offre de l'ancien ministre de Bourguiba. C'est dire que la création d'un nouveau parti destourien à l'initiative de Hamed Karoui, qui jouit d'une bonne image dans la région du Sahel, n'arrange certainement pas Béji Caïd Essebsi, qui s'est longtemps efforcé d'apparaître comme l'unique et légitime représentant de la mouvance destourienne. Certains observateurs vont par ailleurs jusqu'à prétendre que Hamed Karoui aurait conclu un marché avec Ennahdha pour empêcher une union sacrée des destouriens et des Rcdistes. Les tenants de cette thèse rappellent que Hamed Karoui et son fils Néjib sont très proches de Hamadi Jebali, ex-chef du gouvernement et actuel secrétaire général du parti islamiste au pouvoir.