L'avènement de Ramadan 2013 a été marqué chez nous par quelques événements phares qui ont trait essentiellement à l'interaction du religieux et du politique. La révocation du mufti Othmène Battikh inaugura la série, deux ou trois jours avant le mois saint. Nous avons par ailleurs appris que Battikh risque d'être privé de l'animation d'une émission religieuse sur la Nationale 1 et qu'il y sera remplacé par Hamda Saïd, le nouveau mufti de la République. Pourvu qu'il conserve son statut d'imam ! Ces mesures ont suscité plus de désapprobation et de suspicion que de satisfaction dans les milieux politiques, notamment au sein de l'Opposition où l'accent porta sur l'adhésion du mufti remplaçant aux thèses fondamentalistes wahabites. M. Battikh lui-même justifia sa destitution par ses positions modérées et par sa condamnation de l'envoi des jihadistes en Syrie. Quant à M. Abdeljelil Dhahri, Président de l'Observatoire National pour la Défense du Consommateur et des Contribuables, il a intenté un procès pour l'annulation de la révocation décidée par le Président Marzouki lequel ne fut point épargné par les critiques. Celles-ci sont unanimes pour dire que la destitution de Battikh est une nouvelle concession de la Présidence aux ultras d'Ennahdha. Du côté du Ministère des Affaires Religieuses, on impute à « la contre-révolution » la campagne de diffamation et de calomnie visant le nouveau mufti. Pour ce qui est des réactions à l'étranger, la première est venue hier de Syrie où une grande institution religieuse de ce pays appelait à la réintégration de Battikh à son poste de mufti pour « éviter à la Tunisie la ruine et la désolation qui sévissent actuellement en terre syrienne ». Les coïncidences suspectes Cette première « affaire », ce premier dossier ramadanesque, n'est pas de nature à calmer les esprits ni à assainir l'atmosphère entre la Troïka et l'Opposition, très tendue avant, pendant et après la destitution de Mohamed Morsi en Egypte. Quel objectif vise-t-on par la nomination de Hamda Saïd à la place de Othmène Battikh ? L'harmonisation du discours islamiste officiel, ou bien la promotion en Tunisie d'une nouvelle lecture des préceptes de l'Islam, très proche de l'exégèse wahabite ? Il ne peut s'agir d'un simple roulement, ni d'une mesure administrative banale. Ce n'est pas non plus un hasard que la destitution de Battikh intervienne la veille de Ramadan. En ces temps de méfiance généralisée, les « coïncidences » sont toutes suspectes. Entre autres, le « conflit » de ces derniers jours entre Hassen Laâbidi, le Cheikh de la Zitouna et Noureddine Khadémi, le Ministre des affaires Religieuses. Laâbidi refuse toujours d'obtempérer aux ordres du Ministère et va même jusqu'à dénoncer une mauvaise gestion des deniers publics par les fonctionnaires de ce département. Le Cheikh Zeitounien pressent aussi, paraît-il, un coup de Khademi pour imposer un wahabite à la tête de la Grande Mosquée. En tout cas, les zones d'ombres sont nombreuses dans ces deux premières affaires et aucun des éclairages proposés pour les élucider ne met toute la lumière sur leurs dessous politico religieux. Juste pour rire ! Restons dans les « Affaires Religieuses » pour parler de la fermeture des cafés et des restaurants pendant les heures de jeûne. Cette mesure n'est pas nouvelle et les exceptions auxquelles elle donne lieu chaque année, non plus, ne nous sont pas étrangères. Même si ce ramadan-ci, l'un des conseillers du Président Marzouki, en l'occurrence M. Aziz Krichène, prône plus de tolérance à l'égard des non jeûneurs. Ce qui contredit les velléités « salafisantes » que l'on prête au Ministre Noureddine Khadmi. En fait, le sujet est propice à toutes les surenchères. D'où la campagne ridicule de Adel Elmi. Parce que même du temps de Ben Ali, on n'enregistrait presque pas de comportements offensants de la part des non jeûneurs à l'encontre des pratiquants. Au contraire, l'animosité et la violence émanaient d'extrémistes religieux qui voulaient faire la loi dans leurs quartiers et leurs villes. En laissant Adel Elmi dire et faire ce qu'il veut, le ministère des Affaires religieuses adopte une attitude consentante et délègue des droits indus sur autrui à un citoyen ordinaire sans privilèges particuliers à part ceux que lui confère arbitrairement son adhésion à Ennahdha. Heureusement que les Tunisiens ont le sens de l'humour et qu'ils trouvent dans les sautes d'humeur d'Adel Elmi des motifs pour rire dans un contexte pire que morose. Qui offense l'Islam ? Parlons enfin de ce début « d'affaire religieuse » et de cette caricature publiée récemment par Charlie Hebdo sur les restrictions ramadanesques. En fait, seuls les lecteurs bornés y trouvent une offense à l'Islam. Ce que raille le journal satirique, ce sont justement les appels dérisoires et nuisibles à notre religion du genre que profèrent Adel Elmi et consorts. On ne peut prétendre la défense de l'Islam en le caricaturant soi-même avec des propos ou des mesures anachroniques ou injustifiés. Des caméras sur la voie publique !!! Non pas pour faire échec aux braqueurs, cambrioleurs et autres violeurs ; non pas pour contrôler la circulation routière ; non pas pour prévenir des attaques terroristes ! Rien de tout cela ! Seul souci : vérifier que les citoyens jeûnent ! Montrer sa langue, ses dents, son ventre, son bas-ventre au « policier du culte » pour lui prouver qu'on observe une abstinence irréprochable! Quelle aberration ! Mais alors qui contrôle le jeûne de ces « inspecteurs » improvisés ? Sont-ils exempts de flashage ? Non, messieurs les soi-disant « protecteurs de l'Islam » ; Charlie Hebdo n'a pas blasphémé, il a tout simplement dénoncé vos propres « blasphèmes » !