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Le peuple doit «s'exécuter» Température: Le Président de la République incrimine les opposants de la Troïka; Sahbi Atig menace de mater à feu et à sang les rebellions
Au début, nous projetions d'écrire notre article sur l'orientation universitaire. Puis nous nous ravisâmes et décidâmes de proposer une réflexion inspirée par la récente menace officielle de mettre en examen toute personne qui appelle à renverser le régime de la Troïka. Ladite mesure, qui relaie à sa manière la mise en garde provocatrice et arbitraire de Sahbi Atig, serait motivée par une plainte déposée par le chef du cabinet présidentiel. Désormais, notre papier portera donc sur la valeur donnée par les dirigeants tunisiens (toutes ères confondues) au texte éminemment révolutionnaire et patriotique de notre hymne national. Tous l'entonnent, cet hymne, parfois plus d'une fois par jour. Ils en savent par cœur les paroles et, chaque fois qu'ils le chantent, ils appuient sur ce refrain merveilleux : « Quand le Peuple choisit de vivre (survivre), le Destin doit s'exécuter ». Pourtant, au niveau de leurs prestations de terrain, ils n'en font presque jamais cas, et n'agissent qu'au gré de leurs humeurs personnelles ou selon leurs intérêts partisans. De fait, ceux qui nous ont gouvernés jusque-là ressemblent un peu à ces islamistes salafistes qui proposèrent un jour de rayer ce vers en alléguant qu'il vaut un blasphème, alors qu'il honore (comme tout le poème du reste) la volonté des peuples dirigée contre leurs vils oppresseurs et la valeur de la lutte pour la liberté et l'émancipation. Retour à la case départ Aujourd'hui, et sur n'importe quel coup de tête décidé par un haut responsable ou par un constituant furibond, ce Peuple o combien exalté dans notre hymne national (fait rarissime dans les hymnes des autres pays) n'a plus, sur le terrain, c'est-à-dire quand il faut passer de la littérature à l'action, le droit de se rebeller contre ses dirigeants. On ne lui reconnaît plus le droit de vouloir la chute d'un tyran ou d'un corrompu ! Ce n'est pas tant la révolte qu'on menace de châtier, mais l'intention, le voeu de se révolter, l'appel à l'insurrection ! Samedi dernier, Sahbi Atig menaçait de piétiner les mécontents, aujourd'hui, la Présidence propose le recours à la justice contre les séditieux. Pourquoi ne pas les traduire devant les cours martiales, pourquoi ne pas les exécuter sur les places publiques ? D'ailleurs n'a-t-il pas été question, une fois, de couper leurs mains aux « fauteurs de troubles », et une autre fois de la probabilité d'installer des gibets pour pendre ceux qui contrariaient le régime en place ! A l'époque, on perdit des mois entiers à polémiquer là-dessus ; nous revoilà maintenant de retour sur ces mêmes délires et sur des folies apparentées ! Les solutions existent, pourtant Que se passe-t-il dans l'esprit des hommes de la Troïka, de plus en plus tendus depuis qu'on a commencé à les désapprouver, et surtout après le putsch égyptien contre Mohamed Morsi. L'autre jour, le Ministre de l'Intérieur affirmait à sa manière que les forces de sécurité tunisiennes étaient prêtes à mater toute rébellion populaire. Etait-ce nécessaire qu'il ajoutât deux jours plus tard ses précisions sur ce qu'il entendait par là ? Tout était clair : la même semaine, le chef du bloc parlementaire nahdhaoui, la Présidence de la République et le Ministère de l'Intérieur tiennent un discours similaire à propos de la même hypothèse de sédition. Mais, « bonté divine », il ne peut s'agir d'un coup du hasard ! Il y a pourtant mieux si l'on veut que le scénario égyptien ne se reproduise pas sur notre sol. Au lieu de leurs instinctives et récurrentes fuites en avant, à la place de la suffisance béate qu'ils affichent même après leurs plus lamentables échecs, les hommes de la Troïka devraient adopter des attitudes positives à l'égard de l'Opposition qui ne leur veut finalement pas trop de mal. Les récentes réunions du Président Marzouki avec les principaux représentants des partis s'inscrivent dans ce sens, à moins hélas (et nous ne le souhaitons pas) qu'elles visent le gain du temps et la manœuvre contre le flux de protestation antigouvernementale de ces derniers jours. Logique contradictoire Pour en revenir au Peuple, il faut être à son écoute quand on prétend le servir. Lorsqu'une partie non négligeable de la population est mécontente du rendement d'un Gouvernement, c'est que quelque chose ne tourne pas rond dans les intentions et les actions de celui-ci. Inutile de se retrancher derrière les thèses de complot. Il n'y a pas de fumée sans feu. Si la Troïka et le parti islamiste qui la guide sont de plus en plus impopulaires (les différents sondages effectués en 2012 et 2013 ne cessent de le confirmer), ce n'est pas seulement à cause d'éventuelles conspirations. L'erreur fatale serait de s'entêter à nier les évidences. En recourant à l'argument de la force (menaces de bains de sang, arrestations et procès sommaires, censure, etc.), on va tôt ou tard à sa propre perte. Autant profiter du ton encore modéré, consensuel et plutôt conciliateur des principaux partis de l'Opposition. Mardi dernier, le Président Marzouki dînait avec leurs présidents, à Carthage même et en présence du Chef du Gouvernement. C'est bon signe, mais c'est très insuffisant. D'autre part, on ne peut tout de même pas concevoir que cette soirée conviviale ait abouti le lendemain à une mesure aussi impopulaire que celle de criminaliser les contestations du régime troïkiste. Ce serait un peu la logique suivante : « aujourd'hui je vous reçois à manger à Carthage, mais demain, vous risquez de dîner à la prison d'El Mornaguia ! » A menaces renouvelées, bravades répétées En tout cas, la logique des défis et des mises en garde a tendance depuis quelques jours à être un sport partagé équitablement entre la Troïka et ses détracteurs. Comme avec Adel Almi, nargué par les non jeûneurs qu'il voulait dénoncer photos à l'appui, aujourd'hui des pétitions diverses circulent sur face book, ou bien via quelques réseaux électroniques, pour braver l'interdiction de rébellion. De son côté, le mouvement « Tamarrod » recueille chaque jour les faveurs de nouveaux sympathisants. A provocation, provocation et demie ; à menaces renouvelées, bravades répétées ! La rébellion a donc déjà pris ; va-t-on mettre tant de monde en examen puis en prison ? Il n'y a peut-être pas assez de place pour les accueillir dans nos unités carcérales, à moins de gracier tous ceux qui y sont déjà. Par exemple libérer tous les anciens du R.C.D., tous les voleurs, violeurs, braqueurs, tueurs, escrocs, arnaqueurs et autres contrebandiers et jihadistes terroristes. Une fois, toutes les cellules suffisamment peuplées, ou même surpeuplées, on chantera alors les vers de l'hymne national qui dénoncent les « traîtres à la Tunisie » ! Quant aux paroles d'hommage au Peuple insurgé, on en fera l'économie s'il le faut, ou alors on les gommera tout simplement du texte original!