La bataille autour de l'équilibre des pouvoirs entre le Président de la République et le Chef du gouvernement, les deux «deux têtes» du pouvoir exécutif, reprend de plus belle à l'Assemblée nationale constituante (ANC). Aucun consensus ne s'est dégagé sur ce point au sein de la commission créée par élus non retirés qui ne se sont pas retirés de l'Assemblée afin de préparer les travaux de la commission du consensus, suspendus depuis l'assassinat du député Mohamed Brahmi. C'est ce qui ressort d'un communiqué publié dimanche par le groupe des élus du Congrès pour la République (CPR). Dans leur communiqué, les élus de ce parti de centre-gauche ont brocardé les positions « intransigeantes » et le «manque de sérieux d'Ennahdha» dans le traitement de la question de l'équilibre des pouvoirs entre le Président de la République et le Chef du gouvernement. « Un seul représentant d'Ennahdha sur cinq était présent à la réunion tenue le vendredi 30 août 2013 et qui était consacrée à l'examen de tous les points relatifs au pouvoir exécutif, ce qui a conduit à la suspension de la séance», souligne le communiqué du CPR. Les élus de ce parti allié au mouvement Ennahdha pointent du doigt la flexibilité dont ce parti a fait preuve sur certains points, notamment sur la question de la limite d'âge des candidats à la Présidence de la République, et son intransigeance en ce qui concerne concernant l'équilibre des pouvoirs entre les deux têtes de l'exécutif, ce qui a empêché de parvenir à un accord». Le parti de Moncef Marzouki, l'actuel Président de la République, rappelle que la répartition équilibrée des prérogatives entre les deux têtes de l'exécutif fait l'objet d'un consensus auprès de tous les partis représentés à l'ANC. Il indique également qu'Ennahdha a toujours prôné lors des séances de dialogue national le principe de l'équilibre des pouvoirs au niveau du pouvoir exécutif. Concentration des pouvoirs Le CPR a, par ailleurs, précisé que son attachement à cet équilibre est motivé par son «souci de créer un pouvoir et un contre pouvoir » au niveau de l'exécutif et d'éviter ainsi une concentration des pouvoirs entre les mains du Chef du gouvernement ou de la majorité parlementaire. La question de l'équilibre des pouvoirs entre les deux têtes du pouvoir exécutif dans le cadre d'un régime mixte ou parlementaire aménagé a été longtemps une pomme de discorde au niveau de la Commission des pouvoirs exécutif et législatif et des relations entre eux relevant de l'Assemblée. Les élus du CPR et d'Ettakatol, un autre allié d'Ennahdha, avaient plaidé pour l'octroi de pouvoirs réels au Président de la République. Les membres du bloc d'Ennahdha estimaient, quant à eux, que l'octroi de larges prérogatives au Chef de l'Etat risque d'aboutir à une concentration de la symbolique du pouvoir entre les mains du Président de la République, qui pourrait apparaître de facto comme étant l'homme fort du régime et le vrai maître du pays. Certains élus du CPR, dont Samia Abbou, avaient même appelé au recours à un référendum pour trancher les divergences. Le dialogue national qui s'est tenu en mai dernier à Dar Dhiafa sous l'égide la présidence de la République avait abouti à un accord sur l'inscription d'un régime politique mixte et équilibré dans la future Constitution. Selon cet accord qui n'a pas été inscrit dans la Constitution, ce régime mixte devrait accorder des prérogatives précises au Président de la République en matière de défense, de politique étrangère et des affaires sécuritaires. L'accord prévoit que le président de la République est responsable de la préservation de l'intégrité territoriale et de l'unité du pays. Il est également chef suprême des armées et le garant de la Constitution. Compétences d'empêchement Le Chef de l'Etat se charge aussi des nominations dans les hautes fonctions militaires en plus de sa participation aux nominations au niveau des instances de régulation comme la Cour Constitutionnelle, le Conseil supérieur de la magistrature, ainsi qu'au niveau des instances indépendantes comme celles des médias et des élections. L'opposition, le CPR et Ettakatol souhaitent, par ailleurs, que le président de la République dispose de ce que les spécialistes en droit constitutionnel appellent des «compétences de contrôle, d'arbitrage et d'empêchement». Selon les partis favorables à un équilibre réel des pouvoirs entre les deux têtes de l'exécutif, le Président de la république devrait avoir le droit d'opposer un droit de veto sur les projets de loi d'intérêt national, un mécanisme qui mène au renvoi des projets de loi devant le parlement. Les projets de loi rejetés doivent être, dans ce cas de figure, révisés et adoptés à la majorité qualifiée de deux tiers. Selon les défenseurs de l'équilibre des pouvoirs, le Président de la République devrait également du droit de dissoudre le parlement dans certains cas bien définis comme celui de l'éclatement d'une crise politique consécutive à la perte de la majorité gouvernementale ou d'élections ayant abouti à un éclatement total du paysage politique qui empêche la constitution d'une majorité. Dans le cadre du régime mixte, le Premier ministre reste, quant à lui, le pivot des institutions, avec son gouvernement. Le Chef du gouvernement aura, en effet, pour principales prérogatives la définition de la politique générale du gouvernement et la gestion de l'administration et de l'appareil sécuritaire.