A la fin d'un article récent nous avions laissé nos lecteurs à la sortie de Gabès, au pied du massif des Matmata, en leur disant que nous allions bientôt poursuivre nos promenades dans cette région. Il est « normal » d'aller dans le Sud en cette saison. Le rebond du Sahara Les monts de Matmata, une succession de collines arrondies et de tables, ceintes de falaises verticales, émergeant de grands cônes, profondément creusés par des oueds énormes et profonds. Des arbres rarissimes, malgré les efforts de reboisement, émergent ça et là. De tout temps, ces monts ont exercé sur l'homme un très fort pouvoir de séduction. Voulait-il échapper aux tribus qui avaient conquis la plaine côtière ? Avait-il envie d'y mener une vie d'arboriculteurs soigneux dont les traces subsistent dans maintes vallées où le ruissellement de l'eau des pluies, barré par des « Jessour » ingénieux et souvent bien entretenus encore, irriguent de petites parcelles disposées en escalier le long de la pente. Les Carthaginois et les Romains ne se sont guère implantés dans ces monts. Si une résistance farouche a d'abord été opposée aux conquérants arabes, les Berbères acceptèrent la religion et la culture musulmane au point qu'il est difficile, actuellement, de pouvoir dire qui est d'origine arabe ou berbère. Il semble bien que l'occupation de la montagne soit davantage le reflet d'un choix économique que la conséquence de préoccupations défensives. Certes, l'arrivée des Arabes, bédouins éleveurs, Beni Hilel et Souleym, au XIème siècle, a poussé les Berbères autochtones à fuir la plaine envahie par la vie pastorale et à s'accrocher à la montagne où ils pouvaient s'implanter, trouver des moyens de subsister et s'attribuer un terrain. Matmata : vivre sous terre Ses habitants ont sans doute fondé la bourgade actuelle il y a environ deux siècles, dans un sol argilo-limoneux après avoir tenté de s'établir sur les sommets. Leur habitat est le résultat de la convergence du travail de l'homme dans la multitude des vallées encaissées et de l'aspect de la nature. Il a adapté son habitat, dont la forme est déterminée autant par la nature, le relief, le climat et le sol que par des facteurs culturels. C'est une architecture originale, spontanée, respectueuse de l'environnement, dirions-nous, parce qu'elle s'intègre au site et éminemment « stable » puisqu'elle a très peu varié dans le temps ainsi que l'aménagement intérieur des habitations. La demeure s'organise en pièces creusées, souvent sur un seul niveau, au fond d'un puits de 10 mètres de profondeur environ sur 8 à 10 mètres de diamètre, foré à flanc de colline. On y entre d'abord par un couloir à ciel ouvert, qui avance dans le versant, puis on passe par un petit tunnel, en pente douce et souvent coudé pour fuir les regards indiscrets. Un renforcement creusé dans une des deux parois latérales, sert de logement à une bête de somme : un dromadaire. Au centre du « puits », sorte de cour circulaire, une fosse recueille les eaux usées. On y jette régulièrement, par souci d'hygiène, une certaine quantité de sel. La cuisine et les chambres d'habitation, creusées autour de la cour sont dotées de plafond en carène pour éviter un éboulement éventuel. Les « mûrs » sont blanchis à la chaux et le sol est couvert d'un enduit de gypse, bien battu, et lissé qui assure une certaine luminosité à ces chambres qui ne reçoivent la lumière que par une ouverture fermée par une porte en bois de palmier ! Il arriv…ait assez souvent que la demeure entre dans le cadre d'une économie de subsistance de type familial et qu'elle se trouve à proximité des terrains cultivés et d'une citerne, elle regroupait alors plusieurs foyers et nécessitait l'exécution d'un nombre important, 6 à 7 pièces, cylindriques, cubiques ou parallélépipédiques. Les pièces principales pouvaient être dotées d'une ou deux petites chambrettes, creusées au fond ou latéralement. Les provisions pouvaient être rentrées dans une pièce spéciale creusée au même niveau que les chambres ou au-dessus. Elles étaient souvent entreposées dans la cour dans d'énorme « silos » en alfa tressée. Parfois, dans les chambres, des étagères, composées d'un treillis de branches d'oliviers et de hampes de palmes enduites d'argile, d'une valeur esthétique certaine, étaient accolées aux murs. Elles facilitaient le rangement des affaires personnelles – peu nombreuses – de l'hôte de la chambre qui dormait sur une haute « banquette » que le creusement de la pièce avait laissé subsister. Quelques fois, une hutte de branchages, située sur le sol, souvent au-dessus du petit tunnel d'accès à la cour, servait d'habitation estivale. Réputées isothermes, c'est-à-dire tièdes en hiver – facile de le vérifier ! – et fraîches en été – qui veut essayer ? – ces pièces risquent de s'ébouler en cas de fortes pluies. Mais aujourd'hui, la prolifération des constructions en dur est en train de modifier complètement la physionomie du bourg qui, par ailleurs, se vide peu à peu de ses habitants attirés par « Matmata – nouvelle » dans la plaine. Seul, un plan d'aménagement d'ensemble, qui réglementerait l'urbanisme et l'architecture serait capable d'endiguer le mal qui finira par tuer Matmata. Quand il n'y aura plus à voir que des « demeures-musées » qui exposent les objets artisanaux d'autrefois et un « hôtel » troglodytique concurrencé, fortement, par des bâtiments modernes et confortables, dotés de l'air conditionné et offrant une cuisine appétissante, certes mais passe-partout, qui voudra venir à Matmata et y rester un peu plus d'une heure : le temps de visiter une demeure « traditionnelle » et d'acheter un souvenir, à quatre sous, made in HongKong ? Toujane : le coeur altier des Matmata Autrefois, une piste infernale, un « escalier » géant reliait Matmata à Toujane. Aujourd'hui, c'est presque une autoroute. Mais si l'on part de Matmata – nouvelle et qu'on aille à Toujane, en passant par Beni Zelten et Aïn Tounine, l'étroitesse de la montée, en zigzags serrés et la beauté des paysages traversés rendent la promenade encore plus intéressante. Le bourg actuel de Toujane est dominé par deux pitons rocheux, escarpés, nus et noirs, couronnés de ruines de fortifications. Il a été formé de trois bourgs : l'ancien, l'actuel et Dakhlet Toujane vers la plaine. La fondation de Toujane remonterait à quatre siècles environ. Les habitants, bien que très attirés par la plaine, continuent à vivre selon un mode de vie traditionnel fondé sur une arboriculture, d'oliviers surtout, de vallées aménagées et un élevage d'appoint. Ils cueillent aussi l'alfa pour fabriquer ces grands « contenants » ou « silos » à grains appelés kambout ou rounya. Les habitations traditionnelles, de pierres liées à la « torba », sont couvertes de toits en bois d'olivier ou de thuya, qui a l'avantage d'être imputrescible. Les greniers sont couverts de voûtes munies d'orifices permettant d'y verser le grain à ensiler. Ces plafond empêchent, paraît-il, la prolifération des insectes nuisibles. Mais les constructions « modernes » se multiplient. La mosquée, un des bâtiments les plus anciens de Toujane, construite peut-être vers 1596 comme l'indique une inscription en relief sur un mur, découpe sa silhouette d'une blancheur immaculée sur le fond ocre brûlé de la montagne. Pendant combien de temps, les demeures traditionnelles et originales par leur plan à cour centrale précédant des pièces excavées continueront-elles à offrir l'exemple d'un habitat utilisant, au mieux, les possibilités naturelles et apportant une réponse adaptée aux exigences d'un certain mode de vie ? La seule façon de sauver l'originalité de Toujane, en permettant aux habitants, qui voudront y rester, d'y vivre en y gagnant leur vie, c'est de mettre en place, avec leur assentiment, un programme de « tourisme chez l'habitant ». Certes, comme dans tous les sites du sud tunisien, tout ne pourra pas être sauvé, conservé, mais un peu de tout, partout … peut-être. La création de l'Association de Sauvegarde de Douiret en est la première preuve.