Vite, c'est Ramadan ! Tout le monde, le ventre gargouillant, ou calmé par la soupe, a les yeux accrochés à la nouvelle barre de chocolat ou à l'emballage super tendance du jus de fruits. Jackpot ! La manipulation digestive a un air de "bling bling" chez le groupe d'ingénieurs en agroalimentaire, qui se félicitent autour d'une table de réception où du jus de fruit est servi dans des gobelets en plastique (comme nous le font croire nos feuilletons), avec les rusés de la pub. C'est cette utopie dans laquelle nous plonge la publicité, grâce à des idées de génie que les publicitaires adorent en témoignant d'un extraordinaire sens artistique, et d'un talent certain. C'est vrai qu'on n'a vu nulle part ailleurs, par exemple dans les chaînes que nous regardons sans cesse et que nous copions pour l'occasion. Mais non ! qui a dit cela : un consommateur tombé amoureux d'un aliment de la hauteur d'un humain. Et un consommateur mâle qui tombe amoureux d'un paquet de lait (au masculin) n'a aucun souci à se faire concernant sa sexualité...
Culture pub familiale
Le processus est simple. À la manière dont le phénomène sévit au sein du microcosme familial, imaginons une famille comme celle qui, dans le dessin animé diffusé tous les jours à 20h sur Hannibal TV, mange quotidiennement des spaghettis, et dont les membres sont composés de deux parents, deux enfants, une grand-mère (qui est en fait un travesti : la voix étant celle d'un homme, n'essayez pas de nous prouver le contraire !) et une aide ménagère. Entre le lancement de la sitcom et le feuilleton, la fille est aspirée par le spot de la nouvelle marque de chocolat, et elle déclare à sa mère qu'elle la veut pour le "s'hour". Plus tard dans la soirée, la mère (oui, oui, il y a des hommes non galants qui laissent leurs femmes faire les courses toutes seules le soir) part à la recherche de la barre de chocolat qui devrait faire baver sa fille (car c'est un stimulus cérébral qui procure une impression d'immersion dans l'extase). Elle s'arrête chez tous les épiciers et à tous les magasins. En vain, parce qu'il fait encore chaud et aucun commerçant ne veut prendre le risque de s'approvisionner en chocolat, ou bien les publicitaires préparent la charrue avant les bœufs. De retour chez elle, la mère pique une crise de nerfs parce qu'elle s'est fatiguée et a perdu une demi-heure de sa vie, et la fille est fâchée car elle ne va pas avoir son moment d'extase. Juste avant le JT qui est mal programmé, le garçon est scotché au super spot de l'ADSL, et il harcèle son père jusqu'à ce qu'il lui achète un pack. Mais entre le jour de la présentation de la demande, et l'activation de la ligne ADSL, le père subit un infarctus. Une fois, la ligne fonctionnelle, l'attente de la page web téléchargée provoque une montée du taux de cholestérol dans son sang. Il veut lui aussi surfer sur Internet, car il le mérite puisque c'est lui qui a " casqué ", et il attrape le diabète quand il parcourt le bulletin scolaire du fiston. Après la charade, la mère voit la pub de la carte e-dinar. Elle remarque que la réputation de La Poste est en fait taxée à tort, puisqu'elle n'y voit pas de file. Le personnel qui n'est pas isolé dans un box (ce qui oblige le client à se pencher et à hausser la voix pour communiquer) est vraiment serviable et gentil, en prenant la peine d'expliquer les avantages de la carte électronique. Désillusion dans le bureau de poste le plus proche lorsqu'elle s'y rend pour acheter une carte e-dinar afin de payer en ligne la facture d'eau courante, d'électricité et de téléphone ! Il y a des files (pour "t'apprendre la patience" dixit Grand Corps Malade) interminables, des boxes et un guichetier qui meurt d'envie de lui en coller une.
Dure, dure, la réalité !
Par conséquent, à moins qu'elle ne soit cuculle la praline, la famille Spaghettis est anéantie par ce qu'elle voit dans la boîte magique. Parce que, le père, qui attend sa fille partie acheter une carte e-dinar de La Poste, ne va pas lui parler gentiment, mais lui hurler dessus : "Espèce de bâtarde, j'ai rien d'autre à faire, moi, que de t'attendre alors que tu traînes ton *** à l'intérieur ! *** de ***. Tu vas causer ma perte, tu vas me mettre au chômage, grosse *** !". Parce que, quel que soit son job, son héritage ou la cité où il habite, il est impossible d'avoir une voiture imitant l'avion et que tout le monde vous envie de posséder deux portables identiques, dernier cri, et de les oublier à dessein sur le tableau de bord avant de sortir de la voiture, pour déguster une barre de chocolat... à 300 millimes ! Parce que, aussi cool, la mère -puisse-t-elle être tendre et matinale et tout ce que vous voudrez- ne va pas attendre que ses jumeaux finissent de se disputer, pour savoir quel jus ils veulent, et leur demander : " Vous ne vous êtes toujours pas décidés ?" Normalement, à sept heures du matin, elle ne permet pas aux litiges de continuer, en imposant son propre choix, et en donnant une baffe à chacun de ses enfants. Et puis c'est parce que c'est bien nous, que nous sommes bien chez nous, et que tout ce que nous mangeons provient de chez nous. Inévitablement, les spots publicitaires doivent nous montrer des gens qui ne sont pas comme nous, et qui ne le seront jamais. Khalil KHALSI *** : gros mot et/ou blasphème.