Une étude réalisée par le RSF Tunisie et soutenue par l'Union Européenne, l'ambassade du Royaume des Pays-Bas en Tunisie et Friedrich Ebert Stiftung, montre l'insécurité juridique dans laquelle se retrouvent, aujourd'hui, les acteurs de l'information. Malgré l'adoption d'une nouvelle Constitution qui contient des textes juridiques garantissent la liberté de la presse, leur application fait face à un blocage et une opacité juridiques énormes. L'étude du RSF a pour but d'attirer l'attention sur l'urgence à identifier des articles du Code pénal abrogés par le décret-loi 115 ou ajustés pour se conformer aux dispositions de ce dernier. En cernant ces textes, le ministère Public et celui de la Justice ne continueront pas à se baser sur des textes archaïques du Code pénal et contraires à un décret-loi. Les affaires de presse ne seront plus jugées à la base d'anciens textes contraires aux articles promulgués dans la nouvelle Constitution. Dans cette étude, RSF fait allusion au décret-loi N°2011-115 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, de l'impression et de l'édition. La justice tunisienne justifie le recours au code pénal dans les affaires liées à la presse par l'opacité de la valeur juridique qui caractérise le décret-loi. Les juges qualifient d'incertain son champ d'application. RSF cite le cas de la blogueuse Olfa Riahi. Suite à la publication d'un travail d'investigation en 2013, elle a &té, dans un premier temps poursuivie en justice. Malgré les avancées que représente le décret-loi 2011-115 quant à la liberté de la presse et la protection de l'information, RSF met en garde contre «certaines dispositions du code pénal, notamment celles relatives à l'incitation aux délits et fausses informations, à la diffamation et l'injure, aux publications interdites et à l'affichage sur la voie publique». Des dispositions qui appauvrissent totalement le contenu du décret-loi et menacent son existence-même. Ce qui laisse les acteurs de l'information et de la presse en proie à un cadre juridique opprimant. Pourtant, la Tunisie, comme le rappelle RSF, prépare à fonder le Conseil de presse dont l'objectif premier est l'autorégulation de la presse écrite et numérique. Pour y remédier, Reporters Sans Frontières a publié une étude intitulée «Le Code pénal à la lumière du décret-loi 2011-115» dans laquelle elle appelle à la révision du code pénal, le respect de la liberté de la presse et l'article 1er du décret-loi en question. Insuffisances et confusions Il convient de rappeler que dans l'article 79 du décret-loi, le législateur stipule «sont abrogés tous les textes antérieurs et contraires, notamment le Code de la presse promulgué par la loi n°75-32 du 28 avril 1975 et tous les textes qui l'ont complété ou modifié, les articles 397, 404 et 405 du Code du travail». Or, étant donné que l'article 79 n'énumère pas les textes en question, la justice tunisienne continue de fonder sur des textes qui vont à l'encontre du principe du décret-loi. D'ailleurs, RSF l'explique : «Le décret-loi-115 a... la valeur d'une loi, et a, depuis sa publication, l'autorité pour abroger les textes législatifs qui lui sont contraires.». Il explique que l'opacité et le manque de précisions desservent le code-pénal en question. Cette imprécision «rend impérative l'identification des textes... dans le Code pénal tunisien.». L'abrogation des anciens articles doit se faire de manière précise. Certes, le décret-loi 115 consacre une procédure spécifique de responsabilité pénale qui protège les journalistes, abolit les textes qui incriminent les infractions faites par voie de presse et déroge au droit commun. Néanmoins, RSF appelle à ce que les experts cernent avec plus de précision le champ d'application du décret-loi et d'évaluer à quel point ce dernier consacre la protection des journalistes et la protection de l'information indépendamment de sa source. Les recommandations du RSF Dans cette étude, le RSF s'est penché sur les grands critères intrinsèques à la liberté de la presse et de l'information. Après avoir énuméré les points forts du décret-loi 115 relatifs à la protection des journalistes (articles 11, 12 et 13), Reporters Sans Frontières appelle à plus de précision et de lisibilité dans les lois. Il a, d'abord, rappelé la multitude d'agressions dont étaient victimes plusieurs journalistes sans pour autant que les agresseurs ne soient poursuivis ou que les juges ne prennent cela en considération. Les juridictionnels auraient pu poursuivre les auteurs des agressions selon le Code pénal. Les justiciers n'en font que très peu l'application. Reporters Sans Frontières, appelle, également à la sanction du non-respect de ces articles par la création d'un délit spécifique dans le Code pénal, au lieu d'un renvoi à «un texte concernant une autre catégorie de personnes (les fonctionnaires publics) et d'infractions (l'outrage), sans lien avec la fonction de journaliste». Il va sans dire que de telles mesures et précisions renforceraient la valeur juridique et dissuasive dudit texte. Par ailleurs, RSF a mis en garde contre la création de la nouvelle Agence technique des télécommunications (ATT) en vertu du Décret 2013-4506 et du danger qu'elle représente quant à la liberté de l'expression. Cette instance est une nouvelle forme de surveillance qui rappelle l'ATI (l'agence tunisienne de l'Internet). De par sa fonction, qui est de fournir le soutien technique aux investigations dont l'a chargé le pouvoir judiciaire et qui concernent les «crimes des systèmes d'information et de la communication», cette nouvelle agence peut être, en l'absence de clarté de ses fonctions et à la faveur d'une terminologie vague du terme «crime», instrumentalisée pour contrôler et surveiller systématiquement les citoyens. Une des plus graves pratiques de l'Ancien régime. D'ailleurs, le RSF recommande la révision du Décret n° 2013-4506 relatif à la création de l'ATT. De ce fait, RSF propose aux autorités de tutelle plusieurs recommandations, dont on évoquera l'application de l'article 13 du décret-loi 115 qui stipule l'interdiction de poursuites judiciaires à l'égard des journalistes pour des idées, des opinions ou informations qu'ils ont publiées. Pour ce faire, il est impératif d'exclure de manière claire et expressive les journalistes du champ d'application de certains articles du Code pénal. Le RSF recommande d'exclure les lanceurs d'alerte de l'application du Code pénal et d'abandonner les peines d'emprisonnement Le RSF propose aussi, qu'au lieu de renvoyer à l'article 125 du Code pénal, il serait préférable de sanctionner le non respect des articles 11, 12 et 13 du décret-loi 115 à travers la création d'un délit spécifique dans le Code pénal ; de prévoir un système spécifique de responsabilité sur Internet en appliquant le principe de la courte abrogation.