En Tunisie, l'emplacement des décharges d'ordures posent problème depuis le déclenchement de la Révolution. Si, de par le passé, les habitants des régions à proximité des décharges étaient remontés mais ne le manifestaient pas, autocensure et dictature obligent, ces trois dernières années, c'est l'effervescence totale. Tel est le cas de Guellala, à Djerba. Un incendie criminel s'est déclenché, hier, vendredi 11 juillet 2011, dans l'administration de la décharge de Guellala à la délégation de Djerba Ajim. L'ouverture d'une enquête a été ordonnée le jour-même par le Procureur général, tel que l'a annoncé, hier, le représentant de la délégation spéciale de Médenine. Situation kafkaïenne En réalité, l'histoire remonte à quelques semaines. L'île de Djerba suffoque depuis de longs mois sous les tonnes d'ordures entassés partout, rendant la vie impossible et l'air irrespirable. La petite île de Djerba, qui rappelons-le, ne fait que 25 km de long et 20 km de large fut toujours le coin prôné par ces amoureux pour être un havre de paix qui offre rêveries, quiétude et paysages idylliques. Sortis de leur mutisme, les habitants ont manifesté pour que cesse cette pollution qui rend leur île terne et triste et qui offre un spectacle de plus en plus désolant. La fermeture de la décharge des ordures de Guellala depuis 2012 en est la cause. Ce qui a crée une véritable crise environnementale et sanitaire et a porté lourdement atteinte au tourisme, première source d'emploi à Djerba. De grands mouvements de protestation ont été organisés par les citoyens et la société civile, sollicitant l'intervention de l'Etat. Néanmoins, la situation ne semble pas si simple qu'elle en avait l'air. En effet, les citoyens qui habitent à proximité de la décharge Guellalla ne semblent pas l'entendre de cette oreille. Il était hors de question, selon eux de rouvrir ladite décharge, qui de par le passé, accueillait toutes les ordures de l'île de Djerba. Ils se seraient même allés à empêcher les agents de municipalités à décharger les ordures. Ce qui bloque encore la situation. Heurts et gaz lacrymogène Le 5 juillet 2014, le Chef du gouvernement donne l'ordre de rouvrir, malgré les protestations des habitants, la décharge de Guellala. L'Etat a annoncé, par ailleurs, avoir pris plusieurs décisions et certaines mesures dans le cas où certains s'opposeraient à cette décision. Toute personne qui empêchera ou agressera les agents de propreté de travailler, sera poursuivie. Ces décisions officielles ont été accueillies, hier, par des ripostes violentes et des indignations qui sont allées jusqu'à incendier l'administration de la décharge de Guellalla et de bloquer les routes. Des heurts ont eu lieu entre les agents de l'ordre et les habitants de Guellala, en réaction à la réouverture de la décharge d'ordures qui a été annoncée, il y a 4 jours, par le ministre de l'Equipement. La tension est montée d'un cran. La foule ne voulait pas obtempérer et respecter la décision gouvernementale. Pour disperser les manifestants, les policiers ont fait usage de gaz. Il est à rappeler que les autorités se sont entretenues avec la société civile et les habitants de Guellalla afin de leur faire comprendre que la réouverture de la décharge est la seule solution pour que l'île de Djerba puisse retrouver sa propreté d'antan et pour sauvegarder un environnement sain et sauver l'hygiène des habitants. Ce qui n'est pas de l'avis des insurgés de Guellala. Melek LAKDAR Les Djerbiens ne sont pas encore au bout de leur peine Le tout Djerba attendait fébrilement la venue de la délégation gouvernementale annoncée pour mercredi 11 juillet, pour reprendre le dialogue avec les habitants de Guellala au sujet de la réouverture de la décharge contrôlée. Durant toute la journée d'hier, sur toutes les lèvres il n'y avait que cette quête inassouvie de la vérité sur la visite envisagée et sur son aboutissement. Mais à mesure que les heures passaient et que le non lieu de la visite se confirmait, le désespoir des gens croissait, et leur inquiétude montait d'un cran. La consigne donnée tard dans la journée du jeudi aux agences de voyage d'exclure la visite du village de Guellala du programme des excursions, a vite fait de se propager pour être interprétée comme annonciatrice d'un lendemain houleux. Effectivement, très tôt, les engins de l'Anged (Agence Nationale de la Gestion des Déchets) sont entrés en action pour reprendre la mission de l'acheminement des ordres interrompue depuis le 17 avril 2012 suite à la fermeture forcée de la décharge contrôlée de Guellala, mais ils n'ont pu effectuer que deux dessertes du centre de transfert vers ladite décharge, avant que les habitants, vite alertés, n'accourent pour les en empêcher, ce qui a nécessité l'intervention des forces de l'ordre qui assuraient la desserte, et qui ont dû avoir recours aux bombes lacrymogènes, et même à des tirs de sommation selon les dires des témoins. Devant la montée en masse des protestataires déterminés, les forces de l'ordre se sont retirées, ce qui a permis aux autres d'accéder à la décharge et de mettre le feu aux locaux et de barricader les voies d'accès ; à dix heures trente, une fumée noire continuait à monter, et toutes les routes menant à Guellala étaient coupées par des pierres et des troncs de palmiers posés de bout en bout, et à plusieurs niveaux. Des informations faisant état d'un renforcement en cours du dispositif policier ont commencé à circuler tard dans la matinée, confirmées effectivement en début d'après midi par la vue de véhicules de la police en direction de la décharge. Beaucoup de questions demeurent posées : pourquoi la présidence de la République, ayant eu vent de la décision du Chef du gouvernement de rouvrir la décharge, et sachant qu'il devait accueillir une délégation de citoyens de Djerba ce vendredi même, à 09 heures à Carthage, n'a pas pris soin de prendre contact avec le Chef du gouvernement pour coordonner leurs actions et leur décision ? Des représentants du gouvernement étaient attendus mercredi, selon toute vraisemblance, pour entrer en pourparlers avec les protestataires à Guellala et présenter leur plan d'action, pourquoi une telle démarche n'a pas été effectuée ? Pour l'heure, la population retient son souffle, inquiète certes pour le sort des habitants de Guellala, mais angoissée aussi pour le sort des tonnes d'ordures amoncelées dont le séjour parmi les habitants n'a que trop duré pour réduire leur vécu quotidien à un calvaire. La confusion est totale, et le commun des hommes ne sait plus, à force de naviguer dans le doute, qui a tort et qui a raison. Ce qui est sûr, c'est que les Djerbiens ne sont pas encore au bout de leurs peines, que l'horizon ne fait que s'assombrir et que des jours difficiles les attendent.