À une centaine de jours des élections législatives prévues le 26 octobre, la moitié du corps électoral, estimé à plus de 8 millions de personnes, risque de ne pas participer au vote. Et pour cause: l'opération d'inscription sur les listes électorales qui avait démarré le 23 juin peine à atteindre ses objectifs. Lors des élections du 23 octobre 2011, l'ancienne Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), alors présidée par le militant des droits de l'Homme Kamel Jendoubi, n'était parvenue à inscrire que la moitié de l'électorat potentiel, soit un peu plus de 4 millions d'individus. A dix jours de la clôture de la nouvelle opération d'inscription (le 22 juillet), le nombre de nouveaux inscrits ne dépasse pas 170.000 personnes. Selon les experts, le nombre de ces nouveaux inscrits ne dépassera pas dans le meilleur des cas 500.000 personnes. C'est dire qu'environ 3,5 millions de Tunisiens ne passeront pas aux urnes lors des législatives du 26 octobre et de la présidentielle du 23 novembre. L'inscription sur les listes électorales est désormais une condition sine qua non pour pouvoir voter. Les Tunisiens ne pourront plus voter en exhibant leur carte d'identité nationale comme ce fut le cas lors des élections du 23 octobre 2011. Selon plusieurs partis politiques et associations spécialisées dans le suivi du processus électoral, la nouvelle ISIE présidée par le juriste Chafik Sarsar assume une part de responsabilité dans ce taux très faible d'inscription sur les listes électorales. Plusieurs ratés parfois anecdotiques qui témoignent d'un mauvais fonctionnement de l'appareil mis en œuvre par l'ISIE pour inscrire les électeurs ont été rapportés ces derniers jours. Comportement douteux L'universitaire Saloua Charfi a raconté, dans ce cadre, un fait étrange qui s'est produit dans un bureau d'inscription. Mounir Charfi, son mari, qui a déjà voté lors des précédentes élections, n'a pas trouvé son nom sur les listes électorales établies par l'ancienne ISIE. Il a alors demandé de s'inscrire de nouveau. Les agents chargés de l'inscription l'ont alors informé que la mention «décédé» était inscrite devant son nom. Le secrétaire général de Nida Tounes, Taieb Baccouche, a fait état d'un autre dysfonctionnement grave. Selon lui, deux universitaires qui avaient déjà voté en 2011 se sont dirigés vers un bureau d'inscription de l'ISIE dans l'une des régions intérieures du pays pour vérifier qu'ils sont toujours inscrits sur les listes électorales. N'ayant pas trouvé leurs noms sur les anciennes listes électorales, les deux hommes ont alors effectué les procédures d'inscription et les deux femmes chargées de l'opération leur ont demandé de revenirdans une semaine pour avoir le récépissé confirmant l'inscription. Alors qu'ils quittaient le bureau d'inscription, les deux universitaires ont vu d'autres personnes sortir avec leurs récépissés en main. Après protestations, les deux universitaires se sont vus remettre leurs récépissés par les employés de l'ISIE qui n'ont pas expliqué les raisons de leur comportement. «Ce comportement est inquiétant. Car les personnes qu'on a essayé de flouer sont des universitaires, comment les choses se seraient-elles passées avec un citoyen ordinaire?», s'est demandé le secrétaire général de Nida Tounes. Tâche ardue De son côté, Mondher Belhaj Ali, un autre dirigeant de Nida Tounes, a révélé que moins de quatre bureaux d'inscription mobiles seulement se rendent quotidiennement dans les campagnes de Kairouan sur les dix bureaux mobiles annoncés par l'ISIE. D'autre part, l'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections (ATIDE) a brocardé la limitation des inscriptions à l'horaire administratif alors que la majeure partie de l'opération d'inscription des électeurs se déroule durant le mois du Ramadan, l'absence de bureaux de l'ISIE dans certaines régions et la réduction du budget réservé à cette campagne de quelque 3,5 millions de dinars à 1 million de dinars seulement. Membre de l'ISIE chargée de la communication, Khamayel Fenniche met en grande partie le pourcentage dérisoire des nouveaux inscrits sur le compte de la désaffection à l'égard des partis politiques. «Contrairement à ce que fut le cas en 2011, la tâche assignée à l'instance sur le plan de la communication et de la sensibilisation est, cette fois, doublement difficile. Et pour cause : il s'agit de « toucher la frange des électeurs restée réfractaire pendant la période où il y avait le plus d'engouement à savoir le scrutin de 2011. Toute la difficulté réside dans la manière d'aborder le Tunisien, de plus en plus méfiant de la classe politique et pour qui tout le monde se ressemble désormais», a-t-elle déclaré. Sous le feu des critiques, le président de l'ISIE, Chafik Sarsar, qui ne s'est pas expliqué sur les multiples bavures et dysfonctionnements entachant l'opération d'inscription des électeurs, n'a pas écarté jeudi l'éventualité de prolonger les délais d'inscription des citoyens surles listes électorales. «L'ISIE examine la possibilité de prolonger les délais d'inscription sur les listes électorales qui n'est pas d'ailleurs, contraire à la loi en vigueur», a-t-il affirmé.