Trois ans après les élections de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), les Tunisiens seront appelés à choisir leurs députés à la prochaine chambre des représentants du peuple, le 26 octobre prochain. Entre les premières élections tenues le lendemain de la Révolution et les celles du premier parlement, supposé être réellement représentatif de la volonté populaire, que va-t-il changer ? Aux dernières élections, Ennahdha est sortie grand vainqueur et a formé avec le Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol, une coalition qui a dirigé le pays durant les trois dernières années avec ses heurs et malheurs. Le déséquilibre constaté lors des dernières élections sera-t-il comblé ? Le pays gagnera-t-il en stabilité ? Quel paysage politique, nous offrira la prochaine chambre, dont la durée de vie est limitée à cinq ans ? Des personnalités indépendantes donnent des éclairages croisés, sur la Tunisie post-élections. Miser sur les personnes plus que sur les partis Houda Chérif est fort pessimiste. Pour elle rien n'a changé. Elle déclare au Temps : « Certes, il y a eu une évolution, par rapport à 2011, mais elle n'est pas conséquente. Le nombre des listes a diminué, mais les intérêts ont cru. J'ai l'impression que cette fois-ci, chacun sait quoi faire pour avoir sa part du gâteau qui est la gouvernance du pays. Je ne vois que des têtes de listes qui ne sont pas nécessairement des militants, des compétences...Pourquoi, sont-ils têtes de listes ? Des égos, des intérêts de partis sont derrière ces choix. Les règles du jeu restent entre les mains des électeurs. Ils sont capables de faire la différence. Il faut faire des investigations sur les têtes de liste qui peuvent avoir un potentiel parlementaire pendant cinq ans. Il faut voir si ces têtes de liste sont probes. Comme les partis démocrates ne veulent pas s'unir, les électeurs doivent s'unir pour décider de l'avenir. Je ne vois aucune différence entre les partis politiques ou leurs programmes. Ils vont se retrouver dans un même bloc et défendre les mêmes causes et les mêmes lois. Nous n'aurons pas une vraie démocratie. Il faut stabiliser le pays et instaurer les bases de la démocratie. Pour moi, Al-Joumhouri, Al-Massar et Afek sont un seul parti. Nida Tounès, je ne sais pas où il va. J'espère qu'il reste fidèle à la famille démocrate. Les choix de ce parti, sont très flous. Qu'on vote pour Al-Massar, Afek ou Al-Joumhouri, dépendra de la tête de liste placée. Il faut voter pour la bonne personne, indépendamment de son parti. En 2011, on a voté à l'aveuglette. Aujourd'hui, non ! Les partis politiques ont compris le jeu. Les électeurs, non ! Il faut miser sur les personnes plus que sur les partis politiques ». Les pressions étrangères veulent d'une alliance Nida-Nahdha Salah Zghidi, intellectuel de Gauche, non encarté, n'est pas du tout optimiste. Il déclare au Temps : « Le paysage politique s'est déjà, considérablement dégradé par les divisions, souvent artificielles, les dispersions et les égos surdimensionnés, ainsi que l'absence de débats politiques sur les questions de fond. L'essentiel de ce qui se dit tourne autour de l'élection, des listes, des candidats...Aucun débat n'est engagé, alors que c'est en cette période que les débats doivent être organisés. Qui parle du bilan des trois dernières années ? Personne. Qui parle des grands dossiers qui doivent être traités à partir du mois de novembre prochain ? Qui parle du développement régional ? Il était bien à l'origine du soulèvement à Sidi Bouzid et Kasserine. Quelle est la politique de développement régional à engager ? Comment la conçoit la Droite ou la Gauche ? Qui va réaliser ce développement, le capital national ou étranger ? Il ne faut pas qu'il y ait une politique de saupoudrage. Ce sont des dizaines de milliards de dinars à investir sur une période de 10 ans. Le système d'enseignement est en train de tomber en désuétude. Personne n'en parle. Le prochain gouvernement, exercera dans deux mois. Le paysage politique est décevant. Il n'augure de rien de positif puisqu'on se bat autour des noms. Rien ne nous dit que ces partis vont s'engager dans la résolution des problèmes du pays. Est-on disposé à laisser Ennahdha reprendre le pouvoir ? J'ai des craintes que dans la dispersion et dans l'absence de débats qu'Ennahdha s'en sorte bien. Le paysage politique va nécessairement changer. Je prévois et je crains qu'Ennahdha reste une force importante. Elle aura sûrement moins de sièges qu'en 2011, mais elle peut avoir entre 50 et 60 sièges. En face Nida Tounès sera une force importante. Il fera autour d'une soixantaine de sièges. Au sein des forces démocratiques, la Jabha Chaâbia sera en tête avec 15 sièges, suivie par l'Union pour la Tunisie (UPT) avec 5 à 6 sièges. Al-Joumhouri, obtiendra plus de sièges qu'on le pense, entre 10 et 15 sièges alors qu'on le prend pour moribond. Les composantes du CPR peuvent, ensemble avoir une quinzaine de sièges. Ettakatol aura entre 5 et 10 comme l'Alliance démocratique. Les autres partis destouriens auront un paquet de 15 sièges. Tayar Al – Mahabba, ne refera pas la même surprise qu'en 2011.Il aura quelque députés, sans plus. La conclusion : on se trouve dans une situation où Ennahdha et Nida Tounès s'allient. Pour l'étranger, il est exclu que Nida et la Jabha s'allient... Dans la géopolitique de la région, une partie de la décision interne se fait sous des pressions étrangères. Ces pressions veulent d'une alliance Nahdha-Nida. On nous sortira l'histoire du terrorisme qui exige l'unité. Pour moi, il n'y a aucune raison, qu'un parti politique défendant un projet de société non passéiste, s'unisse avec Ennahdha pour retrouver Ali Laârayedh ou Rafik Bouchlaka au pouvoir. Si on veut réellement combattre le terrorisme, avec les risques de son développement, on ne s'allie pas au parti qui l'avait laissé grandir ». Fragmentation et dispersion Abdejlil Bédoui, économiste indépendant est aussi inquiet que les autres. L'instabilité qu'il voit venir après les prochaines élections législatives l'inquiète. Il déclare au Temps : « J'ai des inquiétudes par ce que le système politique tel qu'il a été établi par la nouvelle constitution risque de ne pas garantir la stabilité politique. Un conflit de pouvoir peut résulter entre le président et le chef du gouvernement. Il peut s'en dégager une fragilité de gouvernement qui, forcément, doit être un gouvernement de coalition. Celle-ci, peut être une coalition tellement large qu'elle devient constamment exposée à une implosion. Cette inquiétude est motivée par le fait que le futur paysage politique qui va être reflété par le futur parlement, risque d'être plus fragmenté qu'en 2011, de sorte que la coalition nécessite un nombre élevé de partenaires. Cette fragmentation va mener à une plus grande dispersion des acteurs politiques résultant d'un affaiblissement d'Ennahdha et de ses partenaires, après l'échec de leur expérience au pouvoir d'une part, et les multiples scissions et fractures observées par Nida Tounès conjuguées à la fragilité des fronts politiques constitués jusqu'ici, d'autre part. Cette fragmentation du paysage politique, risque de provoquer une future instabilité politique. Cette instabilité risque en plus, d'être favorisée par la discussion au sein du futur parlement, des mesures et des lois nécessaires pour traduire dans la réalité les acquis annoncés par la Constitution, comme les droits économiques et sociaux, décentralisation et démocratie locale».