L'automne est, avec le printemps, la plus belle saison de Tunisie, à notre goût. La brise fraîche promène dans des cieux d'un bleu profond des images nacrés parfois teintés de mauve ou de lilas pâle. La nature reverdit et les labours peignent un camaïeu ocre sur les champs. Les cigognes sont parties mais les lagunes des bords de mer et les fonds humides : « Ghdira mè » sont bercées par les chants des oiseaux d'eau migrateurs. Le soleil se couche dans une gloire de pourpre et d'or derrière les lignes de collines bleues qui soulignent l'horizon. La route des pins d'Alep aux frondaisons boursouflées comme des nuées d'orage conduit évidemment dans l'Ouest du pays, la durée d'un week-end.
L'ACCUEIL El Kef est le « cœur » de la région des pins. Il serait banal d'aller dans l'un des bons hôtels kéfois. Il serait plus « original », à notre avis, de se rendre à « Dar Chennoufi ». Le nom de cette ancienne grande propriété agricole familiale est essentiellement kéfois. El Kef n'a-t-il pas été le fief du clan des Ben Chenouf ? Devenue un « hôtel de charme », la « ferme », située en plein champ, à quelques kilomètres de la ville, bénéficie d'un calme agreste. Entourés de terrasses équipées d'une piscine, les bâtiments aux murs épais, découpés de très belles portes cloutées comprennent un logis où la tradition cossue se marie au confort moderne. Un grand salon et quelques chambres meublées avec beaucoup de goût, puis une belle cuisine, laissent augurer d'un séjour agréable.
PROMENADE ORIGINALE En quelques tours de roue, on rejoint, sur la route de Tajerouine, le marabout consacré à Sidi Abdallah Sghaier, ancêtre de la tribu des Charen et l'embranchement de la piste très carrossable qui mène à Hammam Mellèg. Les amateurs feront peut-être un petit crochet pour aller voir, tout près du hameau d'El Haria, la couche sédimentaire contenant de l'iridium et qui aurait vu la disparition des dinosaures. Elle est connue mondialement. Un peu plus loin, on arrive à la « ferme des frères Muzar » : un ancien grand camp des combattants algériens. L'indépendance de l'Algérie y aurait été fêtée en 1962 en présence de Messieurs Bou Medien et Ben Bella. A quelques centaines de mètres, des chiffons attachés aux branches d'un olivier sauvage prouvent qu'on y vénère « Oum Chlelig ». Puis on plonge dans une superbe forêt qui dévale les pentes jusqu'aux rives du Mellèg. Aller se baigner, dans une piscine construite à l'époque romaine, où une eau chlorurée coule à plus de 40° dans des thermes bien restaurés récemment, ce n'est pas banal !
LA RESERVE DU JEBEL SADDINE Le long de la route qui relie El Kef à Sakiet Sidi Youssef, 2600 hectares de collines tapissées de végétation méditerranéenne typique sont enclos et protégés depuis des années. L'orientation de trois collines successives engendre trois types de garrigues : haute par ses pins et ses genévriers quand elle est bien arrosée, basse et abritant l'alfa des steppes, quand elle est sèche. La hyène rayée, le plus grand des carnassiers typiques d'Afrique du Nord, croise dans les sous-bois le chat ganté ancêtre du chat domestique. Dans le ciel, l'aigle royal plane et chasse lièvres et perdrix tandis que le Circaète Jean Le Blanc traque les serpents. Un écomusée et des pistes bien aménagées accueillent les visiteurs. On devrait y réintroduire le caracal qui en a disparu en 1930 pour limiter le nombre de gazelles et de mouflons qui vont y vivre.
UN PEU D'HISTOIRE Laissons El Kef très connu. L'histoire contemporaine nationale donne rendez-vous quelques kilomètres plus loin : à Sakiet Sidi Youssef. Le village, accusé de loger de nombreux combattants algériens, a été gravement bombardé en 1958. Un grand monument y a été érigé en hommage aux nombreuses victimes civiles tunisiennes. L'ancien village détruit a été laissé en l'état en souvenir de cette tragédie. Au sortir de Sakiet, on peut choisir de partir vers le Sud, longer les pentes du Jebel Lajbed, aller saluer Sidi Rabah, vénéré dans la région, rejoindre le versant Sud du Gharn El Afaya, qu'on peut escalader en voiture pour aller voir une kalaa berbère construite au sommet et se rendre, via Tajerouine et Jérissa, jusqu'à Medeina / Althiburos. Cette bourgade, d'origine berbère, très influencée par la culture carthaginoise s'est lentement romanisée. Le site, nettoyé récemment mérite une visite. On raconte qu'un peintre tunisien a aménagé une grotte, à proximité du site d'Althiburos, et l'a transformée en galerie artistique ! A voir certainement ! Le retour à El Kef peut se faire via Dahmani.
LA FORÊT DE PINS On pourrait aussi ressortir de Sakiet, revenir sur la route d'El Kef et gagner par des pistes carrossables, l'énorme chaîne boisée : le Jebel Ouergha, qu'on a admirée à l'Ouest de Hammam Mellèg. On peut le rejoindre aussi à partir d'El Kef et de la route qui mène à Touiref. Elle franchit d'abord des collines couvertes de ... pins puis elle franchit l'Oued Mellèg et remonte à travers de superbes forêts de ... pins. Les pentes boisées du Jebel Ouergha offrent d'innombrables promenades. Les brises y font naître d'énormes murmures graves, profonds. Durant les heures chaudes, l'air embaume d'arômes balsamiques et vibre des stridulations des cigales. Pendant les journées d'automne, de discrètes senteurs de résine flottent entre les arbres où des pigeons ramiers : des palombes sédentarisées roucoulent discrètement. Au printemps, les buissons de lentisques ou les touffes épineuses d'asperges sauvages abritent des bouquets de thym et de romarin saupoudrés de fleurettes bleues ou de très belles orchidées sauvages. On peut revenir à El Kef via Touiref ou Sakiet
CONCLUSION Les monts d'El Kef couverts de pins peuvent satisfaire bien des curiosités différentes. Les amateurs d'histoire passeront des mégalithes berbères de Medeïna aux abris souterrains des combattants pour l'Indépendance. Les amoureux de la Nature seront certainement comblés par une faune, une flore et une géologie « riches ». Un bain dans une piscine de thermes d'époque romaine n'est certainement pas habituel. Quant aux amateurs d'un confort de bon goût, ils seront sans doute satisfaits par celui de Dar Chennoufi.