Trois jours nous séparent du premier rendez-vous, dans l'histoire du pays, où les Tunisiens vont choisir eux-mêmes dans un scrutin pluriel, leur président de la République. Une campagne parfois stressante, précède ce rendez-vous. Contrairement aux élections législatives dont la campagne s'est déroulée dans un climat relativement paisible, nous assistons à une montée des discours de haine, de violence et d'extrémisme à la deuxième moitié de la campagne. C'est là un grand danger qui menace la transition démocratique. Certains manoeuvrent et instrumentalisent la fragilité du climat social dans le pays et font les yeux doux aux groupes violents et extrémistes. Le candidat à sa propre succession à Carthage a même prévenu les Tunisiens, en cas de sa non reconduction, quant au risque de voir s'installer en Tunisie l'instabilité en Libye. Lors des dernières élections des représentants du peuple chez nos voisins libyens, le courant islamiste perdant a rejeté les résultats et s'est engagé dans des actions violentes pour imposer, par la force, son programme rejeté démocratiquement par les Libyens. C'est une menace à peine voilée. Quelle évaluation globale peut-on faire de cette campagne qui touche à sa fin ? A-t-elle connu, des débats profonds qui éclairent les électeurs ? Le comportement du Tunisien seul dans l'isoloir, va-t-il changer, un mois après les élections législatives ? Un deuxième tour est-il inéluctable ? Comment se présentera le paysage politique, le lendemain du vote ? Quels sont les scénarii possibles ? « Taghout » et divisions L'universitaire et analyste politique Mustapha Tlili, déplore le retour d'un discours violent visant à diviser les Tunisiens entre partisans et non partisans de la Révolution. Il déclare au Temps : « la campagne a été marquée aussi par l'émergence, autour du candidat Moncef Marzouki, de groupes prônant la violence, les défuntes Ligues de protection de la Révolution (LPR), ainsi que les Imams qui assument une grande responsabilité dans la diffusion de discours takfiristes. C'est ce qui a créé une autre ambiance totalement différente de la campagne des législatives où les discours étaient plus mesurés ». Lors des législatives certains avaient usé de discours « révolutionnaires », mais ils n'ont pas réussi à convaincre les électeurs. Le peu de voix obtenues par Wafa et le CPR aux législatives, montre que ce discours n'est pas accepté par les Tunisiens. Notre universitaire explique le retrait de Mustapha Kamel Nabli par un sens aigu des responsabilités devant cette tournure de la campagne électorale, pour favoriser un peu, les candidats qui ont un discours proche de son programme et surtout, pour barrer la route aux candidats engagés dans des discours de division et de sympathie avec les groupes terroristes. Mustapha Tlili, pense que lorsqu'on traite les autres candidats de « Taghout », c'est qu'on cherche le soutien du groupe Ansar Chariaâ et ses proches. De son côté l'intellectuel Salah Zghidi, déplore les plateaux répétitifs dans les télévisions qui ne permettent pas aux électeurs de distinguer les différents candidats, les uns des autres. Il affirme au Temps : « Je n'ai pas vu les grands candidats affirmer : ‘ moi, je suis porteur de tel ou tel projet de société ‘. Dans la première réelle élection présidentielle, je m'attendais à des débats, pas nécessairement entre les candidats. En Europe, dans ce genre d'occasions, les plateaux sont occupés par des chroniqueurs et analystes politiques qui prennent en main, les dossiers de l'heure. Beaucoup de sujets auraient pu être traités, comme le régime politique, l'emploi, le développement régional, le modèle de développement, avec qui va-t-on gouverner...Il fallait éclairer les électeurs ». Hamadi Jebali a parlé pour Ennahdha Certains se posent des questions sur le comportement de l'électeur. La bipolarisation sera-t-elle de mise ? « Grosso-modo, deux options générales seront présentes. Nous aurons les partisans d'un Etat civique et démocratique conforme aux attentes des Tunisiens et à l'esprit fondateur de la Constitution. Nous aurons aussi les porteurs d'une approche qui vise les Tunisiens au lieu de se conformer à leurs attentes. D'ailleurs Moncef Marzouki est prêt à jouer toutes les cartes pour rester à Carthage. Il applique le principe de Machiavel, le but justifie les moyens. Avant-hier dans l'émission Chokran Ala Houdhour, il a lancé un message selon lequel sa non élection fera entrer le pays, une nouvelle fois dans une vague de violence. On dirait qu'il menace les Tunisiens par le scénario libyen, lors des élections parlementaires lorsque les islamistes qui avaient perdu le scrutin ont opté pour la violence. Moncef Marzouki considère que cette hypothèse est possible en Tunisie. Il veut terroriser les citoyens. Lui ou sinon l'anarchie ? », avance l'universitaire. D'ailleurs, il est persuadé que la position d'Ennahdha s'est clarifiée, lorsque Hammadi Jebali a appelé de façon franche à tout faire pour ne pas élire Béji Caïd Essebsi. Progressivement l'alignement entre les deux pôles est en train de se dérouler à l'intérieur de la société tunisienne. Notre analyste regrette de voir Mustapha Ben Jaâfar qui n'a aucune chance de passer appuyer indirectement Moncef Marzouki, en parlant de « Taghawel » (hégémonie) de Nida Tounès qui n'est pas encore au pouvoir, alors qu'il refusait de reconnaître l'hégémonie d'Ennahdha, lorsqu'il partageait avec elle le pouvoir. Nous aurons un candidat du camp démocrate et un autre proche d'Ennahdha. «La campagne de Moncef Marzouki, ses slogans et ses discours inciteront les indécis à choisir le camp adverse dont le candidat pourrait passer dès le 1er tour. Même s'il y a un deuxième tour, la différence de voix sera grande entre les deux premiers », assure l'universitaire. Quels sont les scénarii possibles lundi prochain ? Notre analyste affirme : « si le candidat de Nida Tounès passe au 1er tour, ce résultat sera une donnée de taille pour l'avenir. Son groupe parlementaire sera dans une position confortable pour redonner vie à l'esprit du Front de Salut en prônant une alliance avec Jabha, Afek et d'autres milieux connus pour leur pragmatisme comme L'Union patriotique Libre (UPL) de Slim Riahi qui soutiendra le prochain gouvernement. Si un deuxième tour s'impose, la voie sera ouverte aux négociations ». D'autres hypothèses seront possibles à l'instar d'un gouvernement d'unité nationale.