La Tunisie, depuis l'époque carthaginoise a été divisée en deux régions et deux espaces complémentaires potentiellement sur le plan économique, mais en déséquilibre permanent sur les plans politiques et administratifs. Carthage la punique et phénicienne, a été une civilisation « côtière » ou « sahélienne », maritime, basée sur le commerce. Rome après « Zama » et la fin des guerres puniques, a donné le statut de « proconsulaire », à la Tunisie ce qui équivaut à un statut de large autonomie interne avec une souveraineté extérieure limitée et une défense sous protectorat romaine. Mais, la Tunisie romaine était continentale et pas seulement maritime. D'où ces chefs-lieus importants en Tunisie profonde et dont on peut citer Makthar (Maktaris), Bulla-régia du côté de Béja, Thuberbo-Majus (El Fahs), Douga (à Téboursouk), Sufeïtila (Sbitla, à Kasserine), El Jem, et Gafsa pour se prolonger en Numidie Libyenne et Leptis Magma la capitale de Caracalla Empereur de Rome. Des empereurs comme les « sévères » ont largement doté l'arrière-pays, de routes carrossables du nord au sud, de pistes agricoles et de périmètres irrigués dont les traces sont encore ineffaçables. C'est cette famille romaine carthaginoise qui a construit le deuxième Colisée du monde romain et cet amphithéâtre splendide et majestueux d'El Jem. Développement régional Depuis, nous avons vécu des cycles de développement régional inégal et de centralisation de pouvoirs et de hiérarchies influentes dans les capitales côtières du fait de la nature, plus hospitalières au niveau climatique, et plus arrosée dans ces régions. Finalement, la Tunisie côtière et phénicienne a presque toujours été plus attirante à l'exception de la conquête arabe qui a fait de Kairouan, bien continentale, le siège du pouvoir aghlabide pendant un peu plus d'un siècle. Mais, encore une fois, l'exception confirme la règle ! La dynastie husseinite n'a pas dérogé à cette loi du climat et de la nature et a vécu en période de sécheresse et de disettes de nombreuses insurrections dont la fameuse révolte de Ali Ben Ghedhahom en 1864, puis celle de Omar Ben Othman en 1906 à Thala et Kasserine. A chaque fois qu'il y avait zèle dans la collecte des impôts, ou atteintes aux libertés et pouvoirs locaux, le pays se mettait à feu et à sang avec des répressions dramatiques et violentes. Même Kheireddine, général en disgrâce a été rappelé par Sadok Bey pour mater la révolte de 1864. L'Etat national moderne après l'indépendance a tenté de circonscrire le phénomène en opérant une large extension du développement régional grâce au tourisme, à la politique hydraulique des barrages et des périmètres irriguées et une politique de décentralisation industrielle un peu plus timide certes, mais encourageante, avec la création de zones industrielles dans la plupart des gouvernorats. Mais, cet élan, a été totalement freiné par le déficit des 23 années du pouvoir « Ben Ali ». Le modèle économique s'est rabattu sur le parasitaire et surtout l'immobilier et le commerce parallèle. Les régions sont entrées en phase, d'hibernation et de sommeil avancé avec l'accumulation de l'exode vers les villes côtières surtout la capitale qui est en passe de devenir aussi un modèle réduit de la Tunisie profonde dans ses quartiers périphériques surpeuplés, où le chômage est très prononcé et où l'infrastructure minimale du bien être collectif est défaillante. La Révolution est partie de là et mais le pire, c'est que la transition qui a bouclé pratiquement ses quatre ans, n'a pas avancé d'un pouce pour changer l'amère réalité des régions. Tribalisme C'est pour cela que n'importe quel discours mobilisateur et passionnel, nous ramène forcément au point de départ du régionalisme, voire même du tribalisme d'autres époques révolues. Re-pire encore, certaines autres régions mieux loties ont connu une dégradation importante à tous les niveaux et comme le dit le proverbe arabe : Aujourd'hui, (Rabbouha... Wahed), et toutes les régions ont atteint un haut degré « d'égalité » par le bas et non vers le haut à savoir une détérioration quasi-généralisée. Le prochain exécutif doit être solidaire au plus haut point, pour remettre à niveau le pays et engager des projets d'envergure dans les régions. Cela doit commencer par les routes, les chemins de fer et toutes les voies de communication pour fédérer l'Ouest avec l'Est et réconcilier la Tunisie punique avec la Tunisie romaine des profondeurs. Pour cela, on ne peut qu'y aller à fonds « perdus » mais rentables sur le futur, pour redonner vie à des régions riches en terre et en eau, mais totalement, coupées de la mer et ses attraits. Imaginez des trains TGV qui relieraient le Kef à Tunis, Siliana à Nabeul, Kasserine à Kairouan et Sousse, Gafsa à Gabès et Remada à Jerba et Sfax, puis Tunis, la Tunisie respirerait et vivrait autrement. On peut travailler le matin au Kef et dîner à Sousse ou à Hammamet le soir même. Le train de Mulhouse et Strasbourg à l'extrême Est de la France vers Paris, couvre la distance de 600 km en moins de deux heures. Alors pourquoi pas Kasserine-Tunis, en moins de deux heures. Le Bordeaux-Paris fait à peine 2h et quart alors pourquoi pas le Gabès-Tunis ! Entre Ben Ali et la transition c'est quelque part 27 ans, de déficit régional accumulé ! Avouez que c'en est trop ! Il est grand temps de faire redémarrer le train Tunisie... et au plus vite ! K.G