Quel que soit le prochain président de la république et quelle que soit la nouvelle composition du gouvernement prochain, la reprise économique sera difficile dans les cinq années à venir. Le risque est grand que la crise se poursuive et s'aggrave. Déjà, les responsables politiques et les experts économistes annoncent la nécessité de ‘‘patienter'', ils parlent de mesures impopulaires inévitables. La hausse des prix est paraît-il inévitable également ; la caisse de compensation subventionnera moins de produits de première nécessité. Les salaires ne seront pas augmentés à la hauteur des attentes, ou peut-être seront gelés pour quelque temps. Les caisses de l'Etat sont à renflouer ; avec quel argent le seront-elles ? Les investissements ne tomberont pas du ciel en deux ou trois jours. Bref, la nouvelle équipe dirigeante aura fort à faire avec le legs des précédents gouvernements et il lui faudra beaucoup de temps pour remettre sur les rails notre système économique et financier. Ce qui n'est pas du tout pour rassurer le citoyen tunisien. Mais ce dernier commence à s'habituer aux périodes de vaches maigres et il trouve toujours des solutions pour surmonter les épreuves économiques, sociales ou financières. L'une de ces solutions miracles reste le recours au marché parallèle pour l'approvisionnement en divers types de produits et à la friperie pour son habillement. Le refuge dans le marché parallèle En effet, toutes les familles achètent de plus en plus de marchandises en dehors des circuits légaux ? Le marché informel vient au secours même des foyers relativement aisés. Enseignants, fonctionnaires, médecins, notaires et avocats s'habillent, meublent et décorent leurs maisons, se procurent ordinateurs, téléphones portables, fournitures scolaires ou de bureau chez les vendeurs à l'étal. Toutes les artères de la capitale et celles de toutes nos petites et grandes villes abritent les étals des marchands de rue. Et les clients de ces commerçants illégaux, mais tolérés, se comptent quotidiennement par dizaines de milliers. C'est que les prix des magasins, des boutiques et des grandes surfaces ne sont plus abordables pour la bourse de plus en plus modeste du Tunisien. Même l'essence et le mazout sont désormais fournis par des vendeurs non autorisés. Et ce ne sont pas que les consommateurs moyens qui s'approvisionnent chez ces derniers. La régularisation organisée et progressive Que faire maintenant que le marché parallèle a pris cette ampleur incontrôlable, et que le circuit informel est devenu le refuge de la majorité des consommateurs ? Une solution a été proposée il y a quelques mois par des hauts responsables de l'UTICA : ils préconisent l'intégration progressive et organisée du marché parallèle dans le grand circuit commercial légal. Donc, il n'est pas étonnant que vienne un jour où les marchands de rue ne seront plus traqués et verbalisés par la police municipale. Seulement, il faudrait penser à l'environnement urbain, à éviter la concurrence déloyale, à contrôler les sources d'approvisionnement et les circuits de distribution, à faire payer certaines taxes municipales aux vendeurs ambulants. Pour les friperies, il est également nécessaire d'organiser ce marché et d'améliorer les espaces qui l'accueillent. Témoignages Sur ce sujet nous avons interrogé quelques commerçants et quelques consommateurs. Voici leurs réponses : Moncef Jilani (chauffeur de bus) «Oui, les prix ont augmenté d'une manière hallucinante ! Seuls quelques fortunés peuvent aujourd'hui s'offrir le luxe de faire leur shopping dans les grandes surfaces et les grands magasins. Nous, je veux dire la classe moyenne, nous n'avons plus le choix, c'est soit les marchands de rue et les fripiers soit l'endettement. Croyez-vous que j'opterais pour la deuxième solution de mon propre gré ? Le marché parallèle nous offre le même produit ou presque à un prix nettement inférieur ! Alors pourquoi aller chercher midi à quatorze heures ! Même si je suis bien conscient du caractère illégal de ces métiers, ils nous assurent au moins le minimum ! C'est tout ce qu'on demande ! » Mohamed Moncef Bouazizi «Je suis contre la régularisation de la situation des vendeurs à la sauvette. Le marché parallèle présente des dangers pour la santé du consommateur. Et ce n'est pas pour quelques dinars de moins que je risquerai ma santé et ma vie aussi. D'autre part, les prix pratiqués dans le circuit informel tendent à être trop élevés par rapport à la qualité des marchandises vendues. » Leïla Ayari (femme au foyer) Notre pouvoir d'achat s'est détérioré et se dégrade de plus en plus ces dernières années. Le salarié petit et moyen n'a plus les moyens de s'approvisionner ailleurs que dans les souks populaires, chez les fripiers et les marchands de rue. Donc, c'est une bonne chose que d'intégrer le commerce informel dans le circuit légal » Naceur Abidi (fripier) «C'est notre unique gagne-pain ; nous n'en avons pas d'autre. C'est donc une bonne solution, cette régularisation de notre situation. De plus, les articles d'occasion que je vends sont de bien meilleure qualité que ce qui se vend dans les grandes boutiques à des prix inabordables pour les bourses modestes et moyennes » Nadhir Ayari (vendeur à la sauvette, 17 ans) Je fais vivre toute ma famille grâce à cet étal. Je paie les études de mes frères et sœurs ! Si on m'interdit ce métier, je risque la délinquance et la criminalité. Je suis logiquement pour la régularisation de notre situation. Nous souffrons trop et nous nous fatiguons trop pour gagner notre vie. Nous venons de très loin pour espérer mieux vivre que dans nos villages. » Espérons que d'ici quelques années, on ne parlera plus de commerce informel, ni de contrebande, ni de trafic illégal. Il faut une solution radicale au chômage en Tunisie, et donc il n'y a plus de place pour les mesures provisoires.