Tout a commencé dans une vieille auberge désaffectée... A l'image de nombreux caravansérails djerbiens, le fondouk Jomni a une histoire longue de 350 ans. Convertis en hôtels, la plupart de ces fondouks se trouvent à Houmt Souk et offraient le souper et le gîte aux marchands ambulants ou aux pèlerins. Tous ces établissements ont un plan architectural à peu près similaire : une cour carrée entourée de chambres sur deux niveaux, avec un puits au milieu de ce patio en général ombragé. Pour avoir une idée sur ces fondouks séculaires, il est possible de visiter cinq de ces établissements dans le quartier des souks. Citons pour l'exemple El Aricha, Erriadh ou le Sindbad à proximité de la rue Ghazi Mustapha et des places Hédi Chaker ou Mongi Bali. La rue Moncef Bey regorge de ces fondouks. On y trouve celui reconverti en hôtel Marhala et celui devenu aujourd'hui l'auberge de jeunesse de Houmt Souk. On y trouve également, face au Marhala, l'ancien fondouk des Maltais où résidaient marchands d'éponges et ambulants de passage. C'est dans cette rue que se trouve El Fondouk. Installé dans l'ancien fondouk Jomni, ce nouvel espace culturel djerbien se souvient des caravanes de chameliers qui surgissaient dans la ville, des marchands itinérants qui venaient y déposer leurs marchandises et de tous ceux qui venaient y chercher un toit les jours de souk. Intacte, la grande cour carrée du fondouk est entourée d'une galerie à arcades, surmontée d'un étage. L'édifice garde toute sa superbe grâce à sa construction en moellons de pierre, montés au mortier de chaux et d'argile. La patine des murs et les poutres en bois de palmier soulignent l'aspect rustique des lieux et dégagent une impression de paix. TROIS JEUNES ET UN COUP DE CŒUR El Fondouk est avant tout un coup de cœur : celui de trois amis qui rêvaient d'une nouvelle vie pour cette auguste hostellerie. Diplômé de l'école touristique de Sidi Dhrif, Fethi Jdaâ a parfait sa formation en voyageant beaucoup. Curieux de tout, il est allé un peu partout, de Rabat à Istanbul, en quête d'idées nouvelles. De fait, El Fondouk s'inspire de lieux similaires qui vibrent aux rythmes conjugués de la modernité et des traditions et se trouvent aussi bien en Turquie qu'au Maroc. Grands voyageurs, Slim Bouaouina et Hédi Ben Amor complètent ce trio de choc. Tous deux sont au service de compagnies aériennes et les grandes capitales européennes et leurs lieux branchés n'ont plus de secret pour eux. Au-delà de ce coup de cœur que trois amis ont eu pour le vieux caravansérail des Jomni, El Fondouk est aussi l'histoire d'une restauration réussie. Les travaux de rénovation se sont déroulés tout au long de l'année 2014 et se poursuivent encore à l'étage qui abritera bientôt 18 espaces culturels ainsi que des salons privatisables. Inauguré le 31 novembre 2014, El Fondouk se veut un café culturel, une halte gourmande et un espace d'exposition. Ali Saïdane y signait la semaine dernière son nouveau livre sur l'histoire et l'actualité du mezoued en Tunisie. Trois photographes y exposent actuellement leurs œuvres avec le concours de l'association « Djerba insolite ». De plus, un atelier traditionnel de tissage et une boutique d'artisanat contribuent à animer des lieux éclairés par les superbes portes peintes de l'artiste Jilani Zaria et les œuvres iconoclastes d'Ahlem et Olfa Merkhi. Car la renaissance de ce caravansérail est essentiellement porteuse d'un projet culturel et d'initiatives novatrices qui consistent à offrir un espace de convergence aux artistes et designers djerbiens. Fil rouge de cette nouvelle vie du fondouk, des musiciens dont le fameux Dhifallah déclinent accents jazzy et airs de malouf alors que la jeunesse se connecte sur le wifi. La vénérable bâtisse croirait rêver... ENTRE CULTURE ET CONVIVIALITE El Fondouk est aussi une show-room des plus originales. Comme dans plusieurs hôtels et cafés européens, tout est à vendre. En d'autres termes, si vous avez un coup de cœur pour la tasse dans laquelle vous venez de prendre votre café, la maison vous offre la possibilité de l'acheter. Ceci est également valable pour les rideaux, les nappes et même certains mobiliers qui agrémentent El Fondouk. Les nombreux touristes de passage se laissent prendre au jeu et repartent rarement les mains vides. Bientôt, ils pourront aussi se procurer l'huile d'olive des terroirs djerbiens, les éponges pêchées à Ajim ou encore les célébres haïks tissés dans l'île. Plébiscité par les jeunes, El Fondouk est vite devenu le lieu culturel le plus convivial de l'île. Cet espace vient renforcer l'offre de la maison de la culture Farid Ghazi et pallier la disparition du centre culturel international créé par le regretté Hamadi Chérif à Sidi Jmour. Peu à peu, les initiatives culturelles se multiplient à Djerba alors que le nombre de galeries d'art augmente depuis l'initiative de Abderrazak et Abbès Boukhobza. Elles sont une petite dizaine dans les souks et sont les havres d'artistes traditionnels ou « naïfs » qui posent un regard personnel sur le patrimoine de l'île. Le succès grandissant d'El Fondouk devrait par ailleurs inspirer d'autres initiatives et inciter des artistes comme Tahar Megdmini à y exposer ses travaux. Ce dernier qui vit à Djerba pourrait, s'il faisait un geste en direction des jeunes d'El Fondouk, confirmer la dimension nationale de leur initiative. Car ils sont nombreux les fondouks et medersas désaffectés qui, dans la capitale et les grandes villes, attendent que leur destin bascule et que de jeunes novateurs les sortent de l'oubli et des injures du temps. C'est chose faite pour le fondouk des Jomni qui vient de renaître par la grâce des auditions légitimes de Hédi Ben Amor, Slim Bouaouina et Fethi Jdaâ...