«Elève sérieuse. Un peux de consentration en langue. » Amis lecteurs, ne pensez pas que ces fautes d'orthographe aient échappé aux correcteurs du journal Le Temps. Cette horreur n'est autre qu'une fidèle retranscription de ce qu'a inscrit une enseignante de français sur le carnet de notes de son élève. Cela se passe bien évidemment en Tunisie où la langue française est enseignée à partir de la troisième année primaire dans les écoles de base et dès la préparatoire dans les établissements scolaires privés. Petit calcul rapide, cette institutrice a dû étudier pendant au moins onze ans la langue de Molière, si ce n'est plus, pour accéder à son poste. Comment expliquer alors son incompétence et son incapacité à aligner deux mots corrects dans la langue qu'elle enseigne? Comment expliquer aussi la position des instituteurs et des inspecteurs, opposés à l'enseignement du français dès la deuxième année primaire et de l'anglais dès la troisième année, une réforme qui entrera en vigueur dès l'année prochaine? Face à l'étendue des dégâts et au nombre incalculable de lacunes chez les élèves, faut-il continuer à faire le dos rond et ignorer ce problème ou bien attaquer le mal à sa racine et proposer une réforme de fond à l'enseignement des langues étrangères ? Deuxième langue la plus parlée en Tunisie après l'arabe, le français est pourtant victime, au quotidien, d'un massacre à grande échelle. A l'écrit comme à l'oral, les fautes se suivent et ne se ressemblent pas. Entre pléonasmes, anglicismes, termes arabisés et fautes tellement récurrentes qu'elles ne sont plus choquantes, les exemples sont tellement nombreux qu'il faudrait des journées entières pour tous les répertorier. Du fameux «c'est déjà» en passant par l'incontournable « j'ai eu 12 de moyen » ou encore « je suis hésité », le français est selon Walid Hilali, victime de « violence conjugale ». Ce passionné de langue française s'insurge: « Je ne comprends pas l'obstination qu'ont certains, notamment les personnalités publiques, à vouloir s'exprimer dans un français qui est pour le moins approximatif. Ils y voient peut-être un signe de distinction ou de revanche sociale. Il y a plusieurs facteurs qui pourraient expliquer ce phénomène: la quasi-absence de lecture chez le Tunisien, un trop plein d'informations suite au boom de l'internet, le changement d'habitudes de consommation et d'accès à l'information... Il y a aussi l'expérimentation de l'enseignement de base avec les conséquences désastreuses que l'on sait. » Les lacunes commencent donc à l'école et s'intensifient au fur et à mesure. Une fois à l'université, l'étudiant souffre d'un handicap de taille et a du mal à assimiler ses matières majoritairement enseignées en français. Mais là où le bât blesse et que les choses deviennent particulièrement catastrophiques, c'est quand certains élèves ne maîtrisant qu'approximativement les langues, choisissent de poursuivre des études littéraires à l'université. Ines, enseignante universitaire à El Kef, en sait quelque chose: « Mes étudiants ne lisent pas, n'écoutent pas la radio et ne regardent pas la télévision en langue française. Leur seule passion, c'est Facebook. Quand ils rédigent des textes, ils traduisent automatiquement les mots de l'arabe vers le français, sans aucun effort de réflexion. C'est à s'arracher les cheveux! » Sa collègue Dorra se plaint aussi du niveau catastrophique et du désintérêt de ses étudiants: « A l'université, j'enseigne le français à des étudiants de licence appliquée. Je peux affirmer que le niveau des étudiants préparant un diplôme en langue française est en-deçà de l'élémentaire. Dans une copie d'étudiants de 1ère, de 2e et même de 3e année, nous recensons des fautes aberrantes. Quand j'enseigne la littérature, je suis à chaque fois sidérée par le peu de motivation de mes étudiants qui ne lisent même pas les oeuvres qu'ils étudient. L'autre fois, je les ai regroupés dans l'amphithéâtre pour visionner l'adaptation cinématographique du roman qu'ils avaient au programme. Ce n'est qu'après avoir vu le film qu'ils ont compris de quoi parlait l'oeuvre. C'est dire que l'audio-visuel, arme à double tranchant, est le meilleur moyen désormais pour motiver les apprenants et les pousser à s'intéresser à certaines matières. » Le français est mort, vive l'anglais ? Parmi les 6000 langues répertoriées, celle qui est la plus parlée au monde est le chinois. Logique lorsque l'on sait que la Chine compte près de 1 371 000 000 habitants et que cette langue est aussi parlée à Singapour et à Taïwan. L'anglais et l'espagnol se disputent la deuxième et la troisième place et le français est classé cinquième. Toutefois, le français est la deuxième langue étrangère la plus apprise et la plus parlée dans le monde après l'anglais. C'est aussi la 3ème langue des affaires dans le monde et la 4ème langue d'internet. Selon l'Organisation Internationale de la Francophonie, il y aurait actuellement près de 274 millions de francophones dans le monde, soit 54 millions de plus par rapport à 2010, notamment grâce à l'Afrique ». Malgré cette nette augmentation de locuteurs, le français reste loin derrière l'anglais. Langue des sciences et des nouvelles technologies par excellence, l'anglais est d'ailleurs perçu comme une langue internationale. En France d'ailleurs et selon la loi Fioraso, il est désormais autorisé de dispenser des cours en anglais dans les universités françaises. Une décision qui a longuement fait jaser, venue remplacer la loi Toubon sur l'utilisation de la langue française, qui restreignait l'enseignement supérieur à la langue française. Face au succès mondial de l'anglais, quelle place doit-on désormais accorder au français ? Faut-il suivre la tendance et privilégier à l'avenir l'apprentissage de la langue de Shakespeare aux dépens de la langue de Molière ? Des questions qui s'imposent et des réponses qui nécessitent mûre réflexion...