L'UGTT a toujours marché sur la corde raide ! A différentes époques et depuis sa création par le leader national Farhat Hached elle a joué un rôle de premier plan dans la canalisation de la revendication sociale. Mais comme tout organisme vivant, elle a aussi ses contradictions. Parfois la mobilisation est excessive pour coller à la fermentation sociale et politique et éviter « l'émigration » des troupes vers d'autres horizons et d'autres concurrents d'autant plus que le pluralisme syndical a été codifié par la loi. Par conséquent l'équation n'est pas évidente. Quand faut-il appuyer sur l'accélérateur de la mobilisation et quand faut-il opérer la retenue et calmer le jeu. L'une des époques les plus indicatives restera à jamais la crise de 1978. A l'arrivée de Hédi Nouira au gouvernement en 1970 et Habib Achour au secrétariat général de l'UGTT, le pays était à genoux comme c'est le cas aujourd'hui. Après les années Ben Salah et l'échec de la politique des coopératives collectivistes, la trésorerie de l'Etat était à bout de souffle, l'agriculture en ruine et l'industrie des petites et moyennes entreprises pratiquement en déconfiture et décomposition avancée. Nouira, le libéral, a opté pour les lois de 1972-74 pour remonter la pente et doper les investissements étrangers. Mais, il fallait un support et un « analgan » social, et mettre en sourdine la fermentation revendicative. D'où ce nouveau « contrat social » annoncé en grande pompe avec l'association stratégique de l'UGTT et son leader à l'époque Habib Achour. Ce dernier, bien que caractériel et courageux jusqu'à la témérité, s'adossait aussi à un passé honorable et prestigieux de combattant anti-colonial et proche du Néo-Destour de Bourguiba. Il faut rappeler aussi que depuis feu Ahmed Tlili, l'UGTT a toujours eu un siège au bureau politique du Néo-Destour, question d'équilibre mais aussi de faire en sorte que la centrale syndicale soit associée à la politique générale du pays. Par conséquent, tout le monde y trouvait son compte, et la croissance, du temps de feu Hédi Nouira et la paix sociale pratiquée par feu Habib Achour a battu tous les records nationaux et même internationaux. En six ans, et jusqu'en 1978, le PIB habitant a été multiplié par 17 et la croissance a dépassé largement les 6%. Mais, l'appétit vient en mangeant et la centrale syndicale comme c'est le cas aujourd'hui, voulait sa part de la croissance. Mais, seule différence près, et elle est de taille, aujourd'hui, la croissance ne dépasse pas à peine les 2,5%, les caisses sont vides et la revendication sociale a été portée à son paroxysme par la surenchère politique populiste de tout bord. D'où l'impasse actuelle. L'Etat n'a pas d'argent, l'économie et la production sont aux arrêts et tournent au ralenti, et le « stress » social est à son comble. C'est un peu « l'accumulation des exigences » que David Easton le grand universitaire et politiste américain désigna par « l'embouteillage des revendications sociales » et qui peut aller jusqu'à la cassure des « barrières de protection » (gate-keepers) de la paix civile et sociale. Pour revenir à l'essence des choses, l'UGTT a toujours été un syndicat d'essence « libérale ». D'où d'ailleurs son affiliation à la CISL (américaine). Chaque fois qu'elle a été « tentée » par l'idéologie des extrêmes socialisante et collectiviste de l'Etat « providence », elle est tombée dans le populisme revendicateur et irrationnel parce que très éloigné des moyens du pays et de son économie réelle. Nous vivons, aujourd'hui, un glissement hasardeux de l'UGTT vers « l'idéologie » au détriment du réalisme et du pragmatisme habituel de la centrale du grand Hached. Attention à l'arrogance infantile des « jeunes » qui doit être canalisée par la sagesse des « vieux » routiers et l'UGTT en a beaucoup qui sont capables de discerner le vrai du faux ! Le vrai, c'est que l'économie après quatre ans de vacances et de traumatisme « révolutionnaire » ne peut pas répondre aux exigences des bases de l'UGTT. Le faux c'est de penser que le moment est propice pour obtenir le maximum de « conquêtes » sociales et d'augmentations salariales puisque l'Etat est faible et le gouvernement en déficit de moyens d'interventions efficaces pour remettre à niveau le pays. L'UGTT joue le pire et le meilleur ! Le pire c'est lorsqu'on est au bord du précipice et qu'on s'entête à faire des pas en avant ! Le pire c'est de vouloir « arracher » le maximum d'une « pompe » qui ne produit plus. Là on peut aller jusqu'à la faillite générale du système et tuer la poule aux œufs d'or. Le meilleur c'est le « contrat social » positif... je dis bien positif, qui tient compte des moyens réels de l'Etat, des entreprises et de l'économie, en général. Il faut soulager la pompe et non la traumatiser davantage ! M.Hassine Abbassi en bon vieux routier sait de quoi je parle... Attention, il faut calmer la machine sociale car le moteur risque de péter les plombs et le pays peut aller à la confrontation tragique des années 1978 ! L'UGTT doit garder ses bons repères et ses valeurs qui donnent la prééminence à l'intérêt national et s'inscrire sur le moyen et le long terme dans le nouveau contrat social, qui sert la croissance d'abord puis la redistribution équitable ensuite ! Encore une fois... il vaut mieux partager la richesse que de partager la pauvreté ! C'est là aussi un des fondamentaux de l'UGTT de Farhat Hached ! Oui, l'UGTT est un acquis national majeur. Protégeons sa spécificité !