Il était une fois, de petits lapins qui avaient tellement peur des grands méchants loups et des vilains chasseurs, qu'ils se sont réunis un beau jour et décidé d'organiser leur suicide collectif !Bienvenue dans l'univers des contes pour enfants, disponibles dans presque toutes les librairies tunisiennes. Intitulé « La décision maladroite » et édité en langue arabe par les Editions Dar El Maaref, ce petit livre illustré, constitué de 8 pages, est vendu à 300 millimes. Il est mentionné sur la première page du conte qu'il a été élaboré par « un groupe d'éducateurs ». Même si on apprend, à la dernière page, que les lapins ont renoncé au suicide, la seule évocation du terme est, en elle-même, considérée comme choquante pour de nombreux citoyens, parents ou pas. Comment cette faille a-t-elle pu être ignorée et passer inaperçue depuis tout ce temps, surtout que cette collection de contes est éditée depuis des années et largement diffusée dans les écoles tunisiennes ? Que pense l'éditeur de cette polémique et surtout, est-ce là un incident isolé ? L'indignation de l'éditeur Bien qu'ayant obtenu son dépôt légal depuis belle lurette et subventionné par le ministère de l'Education, ce conte suscite aujourd'hui l'ire et l'indignation de beaucoup de citoyens qui trouvent totalement anomal, anti-pédagogique et malsain l'évocation du suicide, qui plus est collectif, dans un livre destiné aux jeunes enfants. Contacté par téléphone, Hassen Jegham, propriétaire de la maison d'édition s'est, pour sa part, déclaré surpris par le tollé général soulevé par cette oeuvre. Il déclare : « Ce conte est édité depuis une dizaine d'années. Depuis tout ce temps, personne n'a émis la moindre remarque et les enseignants ont très souvent recours à nos oeuvres car elles sont pédagogiques et la morale de chaque histoire est positive. D'ailleurs, tous les contes pour enfants que nous éditons sont des adaptations simplifiées de célèbres fables telles que celles de la Fontaine et celles d'Esope. Si ces célèbres écrivains évoquent le suicide d'un ou plusieurs personnages dans leurs oeuvres, nous ne pouvons nous permettre de déformer l'oeuvre originale. Ce serait une trahison ! Je conseille à tous ceux qui s'indignent de ce conte, de ne pas être superficiels et de le lire en entier. Ainsi, ils verront qu'à la fin du livre, les personnages ont repris courage et renoncé à mourir. » Quel impact sur les enfants ? En découvrant le fameux passage où il est question de suicide collectif dans ce conte, certains citoyens n'ont pas tardé à faire le rapprochement avec la vague de suicide juvénile qu'a connue la Tunisie il y a quelques semaines. Pas moins de trois cas ont, en effet, été médiatisés dont celui de la petite Chiraz qui s'est pendue à cause de l'enfer qu'elle vivait à l'internat. Toutefois, des spécialistes affirment que le nombre de jeunes Tunisiens qui se sont donnés la mort jusqu'ici est encore plus inquiétant. Interrogé sur ce point, l'éditeur s'est offusqué et a déclaré: « Ce conte est principalement destiné aux enfants en âge d'aller au jardin d'enfants. A-t-on jamais entendu parler en Tunisie d'un enfant de cet âge qui s'est suicidé ? Arrêtons les amalgames ! Au lieu de condamner ce livre, il vaudrait mieux s'attaquer aux idées d'obscurantisme et d'extrémisme distillées aux enfants via d'autres supports et qui menacent vraiment leur équilibre psychologique ! » Un avis partiellement partagé par Najla Boukhris, psychologue, qui affirme: « Le suicide des enfants peut n'avoir aucune relation avec ce genre de livres. La dépression chez l'enfant existe depuis toujours et le suicide aussi. Je ne cautionne pas le contenu de ce conte, mais j'estime qu'il serait également important de pointer du doigt les émissions que regardent les enfants à la télé. Plusieurs dessins animés et films d'animation évoquent aussi des actes graves. L'enfant s'identifie souvent aux personnages et se projette sur ce qu'il voit à la télé ou ce qu'il lit. En situation de stress et de grande angoisse, cela peut le perturber, surtout qu'il n'a pas le recul nécessaire d'où l'importance de l'encadrement que ce soit à l'école ou à la maison.» Zohra, maman de deux enfants de 6 et 8 ans, témoigne: « J'ai découvert, horrifiée, cet extrait du conte. Je n'ose même pas m'imaginer lisant ce livre à mes enfants et eux me demandant de leur expliquer ce qu'est un suicide. Que pourrai-je leur répondre dans ce cas ? » Des bourdes répétitives La polémique suscitée par ce conte n'est pas sans rappeler celle engendrée par la publication, en octobre 2012, dans le magazine tunisien pour enfants « Kaous Kouzah » (arc-en-ciel en arabe) de la méthode à suivre pour l'élaboration d'un cocktail Molotov et d'une rétrospective sur l'origine de cette arme incendiaire artisanale. Rien que ça ! Une publication aussi surprenante que dangereuse qui avait fait couler beaucoup d'encre à l'époque et qui a suscité une colère générale. Sihem Badi, alors ministre des Affaires de la femme et de la famille, avait d'ailleurs décidé de porter plainte contre ce magazine, à travers son éditeur. Autre exemple édifiant, l'ouvrage libanais, intitulé « Kamis Al Souf » (La chemise en laine en arabe). Il s'agit d'un recueil de nouvelles dont l'une d'elles relate, entre autres, les fantasmes incestueux d'une mère. Dans une vidéo publiée récemment sur internet, un père tunisien fait part de son indignation et y lit quelques extraits de cette oeuvre que le professeur de sa fille, aurait demandé à ses élèves de septième année de l'enseignement de base, de lire. On croit savoir qu'une plainte a même été déposée contre le ministère de l'Education. Boycott du Made In Tunisia Parce que ces incidents sont loin d'être isolés, plusieurs parents ont fait le choix de boycotter les oeuvres tunisiennes, notamment les livres pour enfants. C'est le cas de Amény qui déclare: « Dès que mes enfants ont eu l'âge de lire des livres, je ne leur ai acheté que des contes en langue française et anglaise, édités par des éditeurs européens et américains. Il en est de même pour la télévision, mes enfants ne regardent que des programmes éducatifs et des dessins animés étrangers. Au moins, pas de risque de dérives ou de contenu anti-pédagogique !» Pas sûr répondront certains car Pinocchio n'est-il pas un menteur invétéré, Aladin le roi des voleurs et Batman un chauffard qui roule à plus de 300 km/h ?