Décidément, on assiste à un remake du Dialogue national où les négociations autour de la désignation du chef d'Etat ont pris des mois et des mois. Les élections grecques sont venues mettre à nu la vérité désagréable de notre politique : l'esprit obnubilé, le manque de courage et l'inconséquence. Les répercussions de tels vices sont la perte du temps, l'embrouillement de la situation et l'usage de faux-fuyants. L'arche de Noé L'enseignement des Grecs ne se limite pas seulement à l'art de faire vite les choses, mais également à les faire dans la clarté, en assumant, pleinement, leurs responsabilités et en honorant, sans faille, leurs engagements envers leurs électeurs. C'est la leçon prodiguée par le parti vainqueur, Syriza, qui n'est pas allé par quatre chemins pour former sa coalition gouvernementale. Le nouveau chef du gouvernement, Alexis Tsipras, n'était pas tendre avec la droite qu'il a combattue, lors de sa campagne électorale, et à laquelle il impute les déboires du pays, notamment, au niveau du chômage, de la couverture sociale et de la dette. Il ne lui a pas tendu la main, bien au contraire, il l'a écartée et s'est coalisé avec l'extrême droite avec laquelle il a des points en commun, à savoir le refus du dogme de l'austérité et la renégociation de la dette odieuse. Voilà comment les Grecs font la politique, ils agissent en toute clarté, tout en étant conséquents avec eux-mêmes, pendant que les nôtres hésitent trop avant de prendre des décisions, qui sont pourtant évidentes, font plusieurs pas en arrière avant d'avancer d'un iota, laissent traîner trop les choses jusqu'à enveniment la situation. C'est une tradition bien tunisienne, où ni le temps, ni les engagements n'ont d'importance. Et quand vous leur reprochez cette manière de procéder, ils vous rétorquent que cela est imposé par les contraintes de la conjoncture et les spécificités du pays où on doit composer avec tout le monde et gouverner tous ensemble comme si la Tunisie était l'arche de Noé où toutes les parties doivent y être embarquées. C'est ce que laisse entendre Béji Caïd Essebsi lorsqu'il dit « Nous ne gouvernerons pas seuls car le peuple, par son vote, nous a adressé un message clair. Il nous a placés en première ligne, mais sans nous octroyer la majorité absolue de 51%. Donc, nous allons gouverner ensemble en nous alliant avec les parties qui nous ressemblent ». A priori et compte tenu de ce qui s'est passé, lors d'un certain été dans le cadre du Front de Salut National, on serait tenté d'en dégager une alliance avec les forces progressistes, démocratiques et modernistes qui croient en un projet sociétal, bien ancré dans l'histoire de la Tunisie, loin de l'obscurantisme, prôné par les islamistes , comme on se rappelle tous. Le corollaire en serait sa mise à l'écart de toute coalition gouvernementale, selon plusieurs observateurs et analystes. Déni de démocratie Toutefois, cette thèse, qui paraît très plausible et très conséquente pour certains, est contestée par d'autres, y compris des dirigeants au sein de Nida Tounes, qui sont pour la participation du parti islamique au prochain gouvernement, au nom de la fragilité du processus démocratique et de la nécessité de gouverner ensemble. Le prétexte politique dont ils se servent pour bien asseoir leur « logique », c'est le besoin de s'assurer une majorité confortable au sein de l'ARP, une logique qui sied à merveille à Ennahdha qui la saisit à temps et essaye d'en profiter au maximum pour essayer de s'assurer une place dans le nouvel échiquier politique, en se faufilant dans l'équipe gouvernementale de Habib Essid. Parmi les tenants de cette thèse, il y a Saïd Aïdi, qui s'est exprimé, hier, sur Shems Fm, sur les éventuelles alliances que ferait Nidaa Tounes pour la période à venir. Le dirigeant du parti majoritaire a indiqué que son parti ne commanderait pas seul, ce qui ne veut pas dire qu'il le ferait avec tous les partis. C'est bien de dire cela, cela dénote une certaine clairvoyance et une certaine conséquence. Mais, là où on n'est plus d'accord avec lui, c'est quand il dit « Les querelles politiques ne doivent pas pénaliser la Tunisie et les Tunisiens ». M Aïdi, les élections sont ainsi faites, elles reflètent le verdict des urnes qui est, forcément, une pénalisation des uns et une gratification des autres. Il ajoute que ce qui importe, ce n'est pas les alliances mais la réalisation des promesses faites aux électeurs. On ne dit pas le contraire. Donc, conformément à ces promesses, Ennahdha ne devrait pas faire partie du prochain gouvernement. C'est le sens du « vote utile » auquel vous avez appelé tout au long de la campagne électorale. M Aïdi enchaîne, en soutenant que « la coalition qui gouvernera la Tunisie sera composée, en tenant compte du long terme et son choix ne dépend pas uniquement de Nidaa Tounes ». Là aussi, on ne peut qu'acquiescer, c'est le sens même de la démocratie. Néanmoins, Cela ne vous désengage pas vis-à-vis de vos électeurs, ni n'atténue votre responsabilité en matière de gouvernement. C'est vous que le peuple a désigné pour exercer le pouvoir, et à ce titre, vous êtes appelés à l'endosser, entièrement, et à diriger la barque. M Aïdi a laissé entendre que son parti pourrait être « obligé de choisir de nouveaux alliés », en allusion à Ennahdha, en cas de blocage de la part de Afek et du Front populaire, tout en faisant remarquer que Beji Caïd Essebsi n'avait pas tort en ne promettant pas de ne pas s'allier au parti islamique. Alors, là, on n'est plus dans la logique qui a gouverné le FSN, mais plutôt dans celle relative au volet économique et social, car c'est ce qui rapproche les deux partis. Ceux qui se ressemblent s'assemblent. L'ombre de la « Rencontre de Paris » se profile à nouveau. Ces propos inconséquents laissent planer, encore une fois, le flou bien que les récentes déclarations annoncent des indices prometteurs et une sortie imminente du tunnel. Des lueurs d'espoir En effet, suite à sa rencontre d'avant-hier avec le chef de gouvernement chargé, Habib Essid, à Dar Eddhiafa à Carthage, le président d'Afek Tounes, Yassine Ibrahim, a déclaré que la nouvelle composition du gouvernement serait prête vers la fin de cette semaine, en soulignant que, contrairement aux précédents pourparlers, ce sont les partis qui lui ont présenté, cette fois-ci, des propositions. Il a, par ailleurs, écarté une éventuelle alliance entre Nidaa Tounes, Ennahdha, et le Front Populaire, sans, toutefois, repousser leur participation au prochain gouvernement. Il a, en outre, indiqué que les discussions ont porté sur la conception du nouveau gouvernement, l'approche à adopter, dans ce cadre, et le poids électoral et politique de ses différentes composantes. Yassine Brahim a insisté sur le fait que la situation, qui sévit dans le pays, imposait la mise en place d'un gouvernement politique et non pas d'administratifs, comme celui présenté initialement. Enfin, il a indiqué que les négociations entre Habib Essid et les partis prenaient une bonne allure et allaient bon train et qu'elles seraient concrétisées d'ici dimanche prochain. Un autre signe positif émerge de ce processus ; il s'agit de l'éviction de Nejem Gharsalli, largement contesté, du Ministère de l'Intérieur et son remplacement par Ghazi Jeribi, l'actuel ministre de la Défense nationale, qui a enfin accepté ce poste, à la suite de longs pourparlers avec le chef du gouvernement désigné. A la recherche d'une majorité confortable Le clash entre Mohamed Troudi, le membre du bureau exécutif de Nida Tounes et le président de la commission du règlement intérieur au sein de l'ARP, et Riadh Ben Fadhel, le leader du Front populaire, n'est pas de nature à apaiser les choses. Revenant sur l'éventuelle coalition entre le parti majoritaire et le parti islamique, ce dernier a réitéré, sur le plateau d'Attounsiya, les craintes du FP de voir ce rapprochement se concrétiser, qu'il considère comme étant un cataclysme politique et une réédition de l'expérience amère et décevante de l'ANC, ajoutant que Nida Tounes se dérobait de ses engagements et ses responsabilités. Ce qui n'était pas du goût du premier qui lui a lancé des propos désagréables, en lui disant que « ce ne sont pas ses oignons ». Il est à souligner que Ben Fadhel n'est pas le seul à s'opposer à cette coalition, dont les contours commencent à se dessiner, des leaders de Nida Tounes le sont aussi, comme nous l'avons souligné plus haut. On en cite, notamment, Mondher Bel Hadj Ali, Abada Kéfi et Abdelaziz Kotti. Troudi a expliqué, hier, sur les ondes de Mosaïque fm, cette éventuelle alliance par le besoin qu'a son parti d'une majorité confortable dans le Parlement. Un argument qui est démenti, encore une fois, par les Grecs où le parti vainqueur dans les dernières élections, Syriza, va gouverner le pays avec 36, 34%, auxquelles s'ajoutent celles du parti de l'extrême droite, les « Indépendants », qui sont de l'ordre de 4, 75%. Donc, on est loin des 130 voix souhaitées par certains dirigeants de Nida Tounes. Le dilemme d'Ennahdha En fait, le vrai enjeu, c'est le statut de chef de l'opposition. En s'obstinant à répéter, incessamment, la rengaine de « gouvernement d'unité nationale », Ennahda voudrait faire partie du gouvernement Essid et occuper cette position, c'est-à-dire avoir le beurre et l'argent du beurre. Car, il reviendrait de droit au parti majoritaire, qui serait en dehors et qui serait le chef de file de l'opposition, la présidence de la Commission de finances, au sein de l'ARP, et la constitution, une fois par an, d'une commission d'enquête. Et la matière ne manque pas, à ce propos, pour le FP dont le leader Riadh Ben Fadel a, expressément, dit, au cours de la même émission, qu'au cas où ils voteraient contre gouvernement Essid, ce qui est très probable au vu de l'évolution de la situation, et qu'ils soient, officiellement, les leaders de l'opposition, ils procèderaient à des enquêtes, notamment dans les dossiers des assassinats politiques de leurs deux leaders, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, et les événements de la chevrotine de Siliana. Or, si elle votait en faveur de la motion de confiance, Ennahdha perdraient le contrôle de ces commissions et serait, donc, exposée à de vraies tracasseries. C'est, d'ailleurs, pourquoi Habib Kheder est en train d'essayer de développer le concept de l'opposition en vue de le modifier et le tailler sur mesure pour son parti. Alors, que choisir ? Le gouvernement ? Ou bien l'opposition ? C'est un vrai casse-tête chinois auquel est confronté, cette fois-ci, Ennhdha et non plus Habib Essid...