Voilà plus de deux ans que des balles ont ciblé son corps, que cinq balles ont espéré faire taire à jamais la voix de la liberté, que cinq balles lâches et meurtrières ont cru faire disparaître le plus audacieux de nos militants. Et pourtant, ces balles produit l'effet contraire que celui espéré par leur émetteur. Ces balles ont immortalisé le martyr, elles ont gravé son nom dans l'Histoire de la Tunisie, la belle Tunisie militante. Retour sur une ignoble exécution C'était le soir du 20 janvier 2013 que la mort de Belaïd a été décidée par un groupe de terroriste réunis, en la circonstance, dans la maison du djihadiste numéro 1 de la Tunisie : Abou Iyadh. Ils étaient sept en tout, ils voulaient ‘venger l'arrestation de l'un de leurs frères et l'assassinat de la femme de ce dernier par les forces de l'ordre, lors d'une descente sur leur domicile'. Ils avaient une liste regroupant les personnes qu'ils voulaient éliminer, le nom de Belaïd n'était pas en tête de liste, mais il l'était devenu après sa fameuse intervention, sur l'un des plateaux télévisés, où il avait fortement critiqué l'arrivée en Tunisie d'un prédicateur islamique qui prônait le port du voile par les petites filles. Kamel Gadgadhi avait été chargé de ‘mener la mission', il a été fourni en argent et en arme par le groupe terroriste. Le 6 février 2013, à 7 heures 50 minutes, les balles ont été dirigées vers la tête et la poitrine du martyr... Plus de vingt personnes sont impliquées dans ce crime qui a renversé l'Histoire de la Tunisie postrévolutionnaire. (Ceci est la version officielle dévoilée par le ministère de l'Intérieur en février 2014.) Un deuil solennel et des funérailles historiques 8 février 2013... Un ciel noir s'abattait sur Tunis, où une foule de plus d'un million de citoyens (chiffre Ministère de la Défense Nationale) a convergé afin d'accompagner le martyr et sa famille dans la plus douloureuse et solennelle marche. Les dépouilles ont quitté la maison des parents de Chokri, à Djebel Jeloud, un quartier populaire très pauvre, où Belaïd était né, où il a vécu de longues années. La destination était le cimetière Al-Jallaz, à Tunis. Plus d'une dizaine de kilomètres séparent le quartier du cimetière. Cette dizaine de kilomètres paraissait insignifiante face à la foule géante qui était éparpillée un peu partout. Il a fallu plus de deux heures au camion militaire transportant la dépouille pour arriver sur les lieux. Entre temps, des incidents avaient éclaté aux alentours du cimetière et la police avait employé du gaz lacrymogène, un mouvement de panique avait éclaté, mais, heureusement, on était tellement abattus, qu'on s'était laissé inhaler le gaz en oubliant le mal causé par ce dernier sur nos poitrines. Chokri était enterré, commençait alors la légende Belaïd. La Révolution tunisienne a trouvé sa figure, son symbole et son esprit. A jamais ancré dans nos cœurs L'image de Basma Khalfaoui et de Neyrouz Belaïd, debout toutes les deux sur le char militaire, avec le regard plus déterminé que jamais et les doigts en signe de victoire, ne s'effacera jamais de la mémoire de la Tunisie. Chacun de nous se souvient très bien de ce qu'il faisait à la minute où il a appris l'assassinat de Chokri. Chacun de nous se rappelle très bien de sa première réaction ; de ceux qui ont éclaté en sanglots, à ceux qui ont de suite ressenti le besoin d'être dans la rue, à ceux qui se sont juste sentis poignardés dans le dos... Nous chanterons cette année, et toutes celles qui suivront, le chant de la liberté que nos martyrs ont payé de leur vie. Nous continuerons sur leur chemin qui mène vers la paix et la démocratie. Cette année, et toutes celles qui suivront, nous rendrons hommage au martyr symbole en renouvelant notre présence. Salma BOURAOUI L'oubli n'aura pas raison de lui. Ni le silence Ni les « pieux » mensonges, ni les compromis, ni les compromissions... On ne fera pas table-rase, du passé, proche ou lointain, pour que l'embarcation continue à avancer et ne prenne pas l'eau de toutes parts. Elle a pris l'eau de toutes parts, de toute façon. Et ce serait se mentir que de continuer à se donner l'illusion que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que les choses vont finir par se décanter d'elles-mêmes, tant que les vrais coupables n'auront pas été démasqués. Et traduits devant la justice pour répondre de leur crime ignoble, eux qui se la coulent douce encore, en toute impunité, persuadés d'avoir réussi à brouiller toutes les cartes, pour que jamais ils ne puissent être inquiétés. Ils s'imaginent encore, meneurs de jeu et illusionnistes chevronnés, experts en l'art de tirer toutes les ficelles, jusqu'à la fin de des temps, mais la fin des temps, mauvaise nouvelle pour eux, c'est pour demain. Incessamment, sous peu, vous connaissez ? La vérité va finir par éclater au grand jour, ils ne perdent rien pour attendre. Et Chokri Belaïd n'est pas mort et enterré, et puis on en parle plus. Ça ne sera jamais, jamais !, une affaire entendue, tant que justice n'aura pas été faite. Non, il n'est pas tombé pour rien, un certain 6 février 2013, son sang arrosant le bitume, pour que la Tunisie continue de vivre dans le mensonge et absous les coupables parce qu'il faut savoir, raison -d'Etat- garder. Son idéal, ce pour quoi il s'est toujours battu, se situe aux antipodes. C'est un idéal de justice et dignité, de justice et de liberté. De justice et de vérité. Il était Grand. Et ses assassins, ridiculement petits devant lui. Vivant, il leur faisait peur, mort, il leur fait toujours peur. Ils tremblent devant sa stature, et ont sûrement compris, mais c'est aujourd'hui trop tard, que la force du symbole est telle, qu'elle peut déplacer des montagnes. Leurs noms seront ensevelis par l'oubli, une fois qu'ils auront payé pour leurs crimes. La Tunisie retiendra le nom de Chokri Belaïd, jusqu'à la fin des temps. La grande Histoire aussi...