Début mars, le Conseil de l'Europe (CE) tançait la France pour infraction à la Charte européenne des droits sociaux et plus précisément l'article 17 où il est précisé que les Etats doivent «protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l'exploitation». Sur 47 Etats européens membres, 27 ont déjà interdit, quelles que soient les circonstances, les punitions corporelles envers les enfants. Dans son rapport rendu public il y a quelques jours, l'organisme européen de défense des droits de l'homme estimait que la législation française ne condamnait pas assez clairement, fermement et systématiquement le recours aux châtiments corporels. La loi française y reconnaît même un « droit de correction à but éducatif ». Si elle n'est pas contraignante, la condamnation de la France par le Conseil de l'Europe est fortement symbolique et a suffi à relancer l'éternel débat : les châtiments corporels sont-ils vraiment nuisibles au bon équilibre psychologique d'un enfant ? Si le pays de Françoise Dolto, célèbre pédiatre et psychanalyste, n'a pas encore tranché à propos de l'usage de la fessée et des claques, qu'en est-il de la Tunisie ? La Tunisie, pionnière dans l'interdiction des châtiments corporels Contrairement au droit français, la loi tunisienne condamne depuis près de cinq ans le recours aux châtiments corporels envers des enfants. En amendant, en juillet 2010, l'article 319 de son Code Pénal, la Tunisie est devenue le premier pays africain et le 27ème au monde à interdire les châtiments corporels au sein de la famille. Le passage stipulant que « la correction de l'enfant par celui qui a autorité sur lui ne constitue pas un délit et ne peut être poursuivi en justice» avait ainsi été supprimé. A l'époque, le Ministère de la Justice avait précisé que cet amendement avait été décidé afin de limiter l'usage de la violence envers les enfants et d'encourager le dialogue, le respect et l'entente au sein des familles tunisiennes. Une avancée majeure qui est venue consolider les efforts de l'Etat dans le domaine de la protection de l'enfance. Pour rappel, la Tunisie s'est dotée, dès 1995, d'un Code de Protection de l'Enfant, garantissant à chaque enfant tunisien le droit notamment à une vie digne et saine. Une punition banale Mais si la loi interdit depuis un certain temps le recours aux coups, qu'en est-il dans la vraie vie ? En pratique, les avis des parents tunisiens divergent et leurs punitions aussi. Certains estiment que recevoir une claque de temps en temps n'a aucune conséquence sur l'équilibre d'un enfant, bien au contraire. C'est l'avis de Mohamed Fraj qui déclare: « Personnellement, j'ai reçu quelques baffes étant gamin et je peux dire que cela m'a fait du bien. Je ne suis pas traumatisé et je n'en garde aucune séquelle. Les parents doivent juste respecter la limite à ne pas franchir. » Un avis partagé par Leila qui pense qu': « une fessée n'a jamais tué personne mais elle a, par contre, éduqué des générations. » Et à Hela d'ajouter: « Je ne garde pas de mauvais souvenirs des claques qu'on m'a administrées étant petite, au contraire ! Il y a des fautes et des bêtises très graves qui nécessitent le recours à la fessée par exemple. Je ne suis pas contre mais attention toutefois à ne pas en abuser ! » Si elle est en partie d'accord avec l'usage de la fessée, Sana tient toutefois à apporter certaines précisions. Elle s'explique: « Il ne faut jamais taper un enfant en public et surtout pas devant ses camarades. Il ne faut pas aussi le frapper à cause de ses résultats scolaires car ça va le démotiver et le dégoûter. Les enseignants aussi n'ont pas à frapper un enfant pour son attitude en classe ou ses notes. Il faut considérer la fessée comme un dernier recours, en cas de faute grave. » Dilemme cornélien Farah est l'aînée de trois soeurs. Enfant, elle a reçu des dizaines de corrections mais elle affirme ne pas être traumatisée par cet épisode de sa vie et ne pas tenir rigueur à sa mère qui n'avait pourtant pas été tendre avec elle. Elle pense même qu'il n'y a pas de mal à administrer une bonne fessée de temps en temps. Pourtant, Farah estime qu'elle ne frapperait jamais ses enfants car il y a d'autres moyens pour se faire obéir. Quant à Latifa, elle est catégoriquement opposée à toute forme de violence faite aux enfants et s'insurge contre la banalisation de la fessée. Elle se rappelle que son frère aîné, très turbulent durant son enfance, recevait souvent des tannées et disait souvent : « J'ai hâte de grandir pour pouvoir frapper à mon tour papa et maman.» Une fois, il a même violemment froissé une feuille en promettant d'en faire de même de ses parents une fois qu'il serait grand. Moez est lui aussi opposé aux punitions physiques. Il estime que seuls les parents égoïstes et qui ne veulent pas consacrer du temps et de l'attention à leurs enfants optent pour les coups, au lieu d'être à leur écoute et d'instaurer avec eux un dialogue positif. Il affirme: « L'autorité parentale se gagne par le respect et non par la peur. » Et à Shyraz d'ajouter: « Même les animaux domestiqués sauvagement finissent par se retourner contre leurs maîtres. Alors que dire des humains ?» Donia est elle aussi farouchement opposée à la fessée. Pourtant, elle avoue, non sans gêne, en faire parfois usage. Elle s'explique: « Je crois qu'agresser un enfant physiquement n'est pas bon. Ça banalise la violence et diminue son estime de soi. Frapper un enfant a parfois des effets inverses, sauf que moi, parfois, je le fais, lorsque je suis dépassée par les événements. J'essaie néanmoins d'avoir recours le plus souvent à d'autres moyens de punition. » Haïfa a aussi reçu quelques fessées durant son enfance. Aujourd'hui, ces souvenirs la font plutôt rire. Elle affirme que ces quelques coups, qui n'étaient pas très violents, l'avaient surtout incitée à ne plus refaire les mêmes bêtises. La loi suffit-elle ? Loin de faire l'unanimité, l'interdiction des châtiments corporels continuera, en Tunisie aussi, à susciter des débats houleux. Certes, depuis l'amendement de l'article 319 du Code Pénal, toute punition corporelle infligée à un enfant par un adulte, y compris par l'un de ses parents ou par son tuteur, est considérée comme un délit et l'accusé risquerait, en cas de plainte, être condamné. Encore faut-il que le mur du silence soit brisé et que la jeune victime puisse faire parvenir sa voix. Combien d'enfants sont battus au sein de leurs familles et redoutent d'en parler ? Combien de parents infligent à leurs enfants d'humiliantes punitions corporelles, pensant bien faire et contribuer ainsi à leur bonne éducation ? Y a-t-il de petites claques ou de légères gifles ?