Après presque huit mois de parfaite cohabitation, les relations entre les deux mouvements majoritaires aux élections législatives, Ennahdha et Nidaa Tounes, commencent à connaître de sérieuses tensions. La dernière en date est celle survenue suite au discours du président de la République, Béji Caïd Essebsi, le jour de la Fête nationale de la Femme. En effet, le chef de l'Etat a indiqué, jeudi dernier, que le port du voile sera formellement interdit aux petites filles âgées de quatre ans et celles qui suivent leurs études dans les écoles primaires. Expliquant que cette pratique est contraire aux règles du Code du statut personnel, Caïd Essebsi a appelé tous les responsables concernés à appliquer et à faire régner la loi. Des propos qui ont suscité le mécontentement de plus d'un et surtout parmi les conservateurs. Les sympathisants du mouvement d'Ennahdha ont rappliqué, via les réseaux sociaux, en annonçant le ‘retour des pratiques de l'ancien système'. Ne concevant pas qu'un dirigeant politique ose ‘contredire les lois coraniques', les Nahdhaouis se sont lancés dans une vaste campagne de dénigrement visant le chef de l'Etat et son ancien mouvement, Nidaa Tounes. Une campagne qui nous renvoie à celles qui ont été menées par les mêmes personnes pendant deux ans, c'est-à-dire au moment de la création du Nidaa pour s'apaiser dès son alliance avec Ennahdha. Jusque-là, rien de grave sinon une réaction relativement prévisible de la part de personnes endoctrinées par des dogmes extrémistes. Mais, quand la riposte provient de la part de l'un des dirigeants phares du mouvement islamiste, les données changent. C'est le député du bloc d'Ennahdha et ancien ministre de la Santé publique, Abdellatif Mekki, qui a ouvert le feu contre le discours de BCE. Le député a en effet estimé que Caïd Essebsi a voulu, de par son discours ‘religieux', détourner l'attention du peuple afin qu'il oublie les promesses électorales de BCE. Estimant que le chef de l'Etat a adopté un comportement purement partisan, Mekki a assuré que tous les efforts d'Ennahdha – qui s'emploie selon lui à lutter contre tous les tiraillements politiques et religieux du pays – pourrait tomber à l'eau à cause de cela. Dans ce cadre, il serait utile de rappeler qu'Abdellatif Mekki a avoué, au cours d'une entrevue accordée au journal Le Temps, qu'Ennahdha demeure insatisfait de sa faible participation au gouvernement d'Essid et que de ce fait, cette participation pourrait être révisée au moment opportun. De son côté, l'ancien ministre de l'Agriculture et actuel député à l'ARP, Mohamed Ben Salem, a assuré qu'Ennahdha pourrait revoir sa participation à la coalition des partis au pouvoir et ce surtout après les déclarations ‘provocatrices' de Mohsen Marzouk et la campagne visant les imams ‘indépendants' menée, essentiellement par Nidaa Tounes. Toujours selon Ben Salem, Rached Ghannouchi aurait exprimé son inquiétude quant au mouvement visant lesdits imams auprès du président de la République. Des querelles pareilles entre deux mouvements aux positions divergentes sont tout à fait prévisibles. La nature de l'alliance Nidaa Tounes/Ennahdha a toujours été fondée sur une base extrêmement fragile et liée, intimement, à l'évolution de la situation politique du pays. Alors qu'il touche à un point très sensible de l'idéologie d'Ennahdha – qui n'est autre que la pensée islamique – Béji Caïd Essebsi court le risque de voir les dirigeants du mouvement islamiste prendre des décisions qui pourraient remettre en cause l'alliance et donc, la composition du gouvernement. Ces déclarations des dirigeants Nahdhaouis pourraient conduire à la tenue d'une réunion du Conseil de la Choura d'Ennahdha qui devrait trancher.