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Littérature: La mauvaise herbe de la mafia
Publié dans Le Temps le 25 - 10 - 2015

L'herbe, même la mauvaise herbe, a besoin d'air, d'oxygène ; or, c'est ce qui manque à Giueseppe Grassinelli depuis plus de vingt ans. Enfant, il était surnommé par sa famille malerba ce qui signifie en italien « mauvaise herbe ». C'est le titre de son récit qui vient de sortir en France sous le titre Malerba (traduit de l'italien par Nathalie Bauer, JC Lattès), co-écrit avec Carmelo Sardo. Effectivement, l'auteur de ce texte est emprisonné à perpétuité après avoir été condamné pour de nombreux assassinats avec préméditation.
Un mafieux de plus, pensera le lecteur français. Mais pourquoi à vie ? Tant de repentis ont livré des informations à la justice ! L'auteur qualifie son livre de roman, certes les noms de lieux ont été changés ; le narrateur s'appelle Antonio, prénom qu'il a utilisé pendant dix ans. Mais l'auteur des vols, des crimes et le narrateur lucide ne font qu'un et pour cause !
Antonio-Giuseppe évoque son enfance sicilienne d'enfant chapardeur, prêt à commettre les quatre cents coups, pourtant élevé par des parents honnêtes et courageux. Leurs réprimandes et coups ne font rien, l'adolescent suit une mauvaise pente. Conseil de famille : on décide de l'envoyer en Allemagne, à Hambourg, chez un parent, pour le remettre dans le droit chemin et l'éloigner de ses mauvaises fréquentations. Il a dix sept ans. Mais le parent est un puissant patron de boîte de nuit à Hambourg et le jeune émigré trouve sa voie : il s'enrichit rapidement par le trafic de drogue et sa grande spécialité, ce sont les parties de poker truquées, au cours desquelles il dévalise les joueurs. Il poursuit ces activités pendant dix ans sans être inquiété. Tout lui est facile, l'argent, les belles voitures, les femmes. Il écrit lui-même qu'il se conduisait comme ‘un jeune con'. Rien ne semble l'inquiéter.
Or l'été 1986, alors qu'il se trouve, en vacances en Sicile, avec sa famille, dans un café restaurant, une fusillade éclate : son grand-père admiré et son oncle sont tués devant lui. Les auteurs des crimes sont des amis d'enfance et leurs familles étaient apparemment amis et se ‘fréquentaient'. Antonio découvre les causes de ce carnage ; le clan qui l'a commis, n'obtenait pas ‘la collaboration' de l'oncle qui possédait des commerces. A cette résistance, s'ajoutait ‘un crime d'honneur' : un cousin aurait séduit la fille d'un boss de ce clan ! Antonio retourne en Allemagne avec une obsession tenace et morbide : venger l'honneur de sa famille et surtout abattre les auteurs de ces assassinats qui sont ses ‘ex' amis d'enfance, devenus des membres influents de Cosa Nostra.
Il va continuer sa vie dorée de délinquant arrogant et apparemment désinvolte. Mais tous ses actes, tous ses gains sont orientés vers un seul but : tuer les assassins de sa famille. Il est outragé de voir son père et un oncle en prison, à la suite de faux témoignages, alors qu'ils n'ont fait partie d'aucun clan. Cette hallucinante cavale devint une descente aux enfers, sur fonds de fusillades et d'attentats à répétition. Elle est décrite très précisément par l'auteur qui, avec le recul, se demande s'il était inconscient ou courageux ; certainement ivre de vengeance au point de perdre tout contact avec la réalité, prisonnier d'une folie meurtrière.
« La mafia c'est l'Etat »
Une autre obsession : « La mafia c'est l'Etat », ce qui l'empêche de se mettre sous la protection de la police car il est persuadé que la justice est corrompue par Cosa Nostra. Pour la même raison, il refusera d'être un repenti et de collaborer avec les juges Il constitue un groupe de tueurs qui semble inquiéter les autres clans et il parvient à tuer, entre autres, les assassins de sa famille, avec une férocité implacable
Ce bain de sang s'achève après la tenue du ‘maxi-procès' des repentis, à Palerme (1986-1987). Depuis longtemps, sans s'en rendre compte, il est poursuivi, dans l'ombre, par la police ; la trahison-repentance d'un proche facilite sa capture. Elle intervient au moment où les juges Falcone et Borsellino sont assassinés : la réaction d'Antonio est de constater que Cosa Nostra a gagné sur toute la ligne, même contre l'état. Le verdict de son procès est à la mesure des actes commis : il est jugé comme un criminel dangereux et condamné à la réclusion perpétuelle. D'abord cinq ans dans un pénitencier en Sardaigne, puis en Basilicata, sous un régime moins dur mais toujours avec l'interdiction de sortie et de demande de réduction de peine.
Ce sont les dernières pages de ce récit qui révèle le sens profond de ce témoignage : ce n'est pas une confession pour se déculpabiliser, c'est l'itinéraire d'une ‘rédemption' morale et intellectuelle. Elle commence avec la découverte de la lecture alors qu'il était presque analphabète et parlait seulement le dialecte sicilien. Il dévore Tolstoï, Nietzche, entre autres. Le déclic se produit grâce à l'autorisation d'assister à des cours donnés aux détenus par un professeur de l'université de Naples, Giuseppe Ferraro. Il va s'en suivre une correspondance régulière qui est, pour le criminel, le début d'une renaissance ; ce qui va le conduire à soutenir brillamment une maîtrise de lettres et de philosophie.
Un autre contact va déclencher aussi le processus de l'écriture : La visite à la prison du journaliste Carmelo Sardo pour réaliser son interview. Entre eux, c'est une longue histoire. Le détenu l'appelle l'agent secret : effectivement, le journaliste, spécialiste de La Mafia, a suivi sa traque pas à pas, pour des raisons professionnelles, non sans risques. Dans un post-scriptum, ce dernier évoque avoir été témoin involontaire de la fusillade d'août 1986 à Porto Empedocle ; il passait par hasard, pour une sortie avec une amie.
C'est à lui que Giuseppe confie le manuscrit qui sort sous leurs deux signatures. Rappelons que Porto Empedocle est un lieu mythique, avec le nom d'un grand philosophe grec ; il est situé, au bord de la mer, en contre bas de la célèbre vallée des temples d'Agrigente et à proximité de la maison natale de Luigi Pirandello (lieu appelé le ‘Chaos').
Malgré cette évolution, l'auteur sait qu'il ne peut être pardonné :
« Il est impossible que je sois pardonné du mal que j'ai commis. Personne ne pourrait le faire ».
L'ambiguïté s'insinue derrière les accents de vérité de cette confession. Est- ce que l'être humain change vraiment ?
« Un homme peut-il changer après plus de vingt ans de réclusion ? Peut-il devenir quelqu'un d'autre. Ne faudrait-il pas aussi évaluer les êtres sur le plan de la variabilité du temps intérieur, et pas seulement sur le temps extérieur ? ».
La force du récit tient au fait que cette évolution, à lire, est à la fois prenante et surprenante. D'une part, il y a un parcours détaillé, jalonné de situations tragiques, d'un point de vue humain et historique ; d'autre part, on découvre l'auto analyse lucide et sans concession d'un meurtrier qui le conduit à une renaissance mentale et morale.
Le livre a reçu le prix Sciascia-Racalmare en septembre 2014. Cette récompense a suscité des polémiques en Italie : on reprochait au jury d'avoir honoré un meurtrier ! Faut-il rappeler que Leonardo Sciascia (1921-1989) a été le premier, dans les années 1960, à dénoncer les liens entre l'état italien et Cosa Nostra, sous forme de romans policiers ? Dans Le jour de la chouette, Todo modo, Le contexte (entre autres), la dénonciation est explicite. Aujourd'hui, il existe, dans le village natal de l'écrivain, Racamulto (province d'Agrigente), une fondation avec une importante bibliothèque. Des manifestations culturelles rappellent l'importance de ses écrits et de ses témoignages alors que Cosa Nostra cherchait à imposer sa loi par la violence, contre la société civile et l'état italien.


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