Paru le 15 septembre dernier aux éditions Premier parallèle, le nouvel ouvrage de Gérard Haddad, un auteur d'origine tunisienne, est un essai historique, anthropologique et clinique du fanatisme. Dans cet ouvrage intitulé "Dans la main droite de Dieu", l'auteur tente de répondre à des questions terribles: comment comprendre que des individus se précipitent en masse pour en massacrer d'autres? Comment devient-on fanatique et pourquoi passe-t-on à l'acte? Face aux attentats terribles qui ont secoué Paris, la lecture de cet ouvrage est un ultime recours, un moyen de comprendre ce qui pousse certains individus à basculer dans l'horreur, l'absurdité et l'inhumanité. Gérard Haddad pose un regard de psychanalyste sur le fanatisme et tente d'en analyser les ressorts et les motivations profondes. La lecture d'une folie collective Au lieu d'adopter la démarche classique selon laquelle on ne peut triompher du fanatisme que par la violence, Gérard Haddad adopte une autre posture qui consiste à analyser les multiples facteurs qui imposent à des individus fragiles ou fondamentalement brutaux de répondre à leurs pulsions fanatiques. Haddad invite son lecteur à une troublante plongée dans les arcanes psychiques de ceux qui s'abiment dans le fanatisme. Tentant de répondre à la question " Comment devient-on fanatique?", l'auteur de cet essai multiplie les approches afin d'esquisser des débuts de réponse. En outre, Gérard Haddad essaie d'aller au fond des choses sans éluder la complexité de son projet. C'est ainsi qu'il fouille au plus profond des êtres ce qui pourrait les pousser au passage à l'acte. En d'autres termes, à quelles sources psychologiques s'abreuve la jouissance de celui qui croit détenir, seul, la vérité? Au delà, l'auteur de "Dans la main droite de Dieu" cherche la signification du fantasme d'un retour aux origines, vers un temps virginal. Dans la foulée, Haddad pose aussi l'obsession du complot et les questions identitaires qui agitent les sujets fanatisés dans leurs certitudes qu'ils agissent pour faire advenir la révélation du monde à lui-même. Dans ce livre, le lecteur pourra confronter ses idées à une lecture approfondie d'une folie collective. Les éclairages anthropologique et psychanalytique se conjuguent ainsi pour décoder le fanatisme, en comprendre les articulations, la psychose et l'inconscient. Fin connaisseur des trois grandes religions du Livre, le psychanalyste Gérard Haddad parvient à défricher une question relativement peu étudiée, afin de mieux connaitre la dérive fanatique pour pouvoir lutter contre elle. Une maladie du narcissisme, une pulsion de mort... Pour sa démonstration, Gérard Haddad s'appuie sur Lacan et parvient à esquisser un portrait relativement précis du fanatique, perdu au cœur du malaise de la civilisation, désorienté par la mondialisation voire en état de mort/résurrection anthropologique. Elément moteur de la réflexion de Haddad, la notion de doute est ici essentielle. En effet, le fanatique est pris dans une posture de prisonnier d'une jouissance narcissique, de porteur d'une obsession selon laquelle il détiendrait la vérité. En basculant dans le fanatisme, le sujet cherche en fait à conjurer le doute, à fuir le malaise qui le taraude face au monde complexe qui déstructure ses repères, ceux que justement il envisage dans leur immuabilité. C'est dans une lignée de psychanalystes et sociologues de l'individu pris dans la masse que Gérard Haddad puise ses références. On peut bien sûr penser à Max Weber et sa doctrine sur le fonctionnement des foules, sur la masse et la puissance. Toutefois, c'est aux sources du freudisme qu'il faut remonter pour comprendre la continuité dans laquelle se situe Haddad. C'est bien le Freud de "Malaise dans la civilisation" ou de "L'avenir d'une illusion" qui est ici convoqué. Car, justement, il s'agit du Freud envisageant aussi bien la psychologie collective que l'analyse du moi, celui qui se penche sur l'individu pris dans la nasse de la masse ou dans les filets de l'illumination. C'est sur ce socle que le psychanalyste envisage d'étudier la croyance radicale, qu'elle soit religieuse, qu'elle se drape de religion ou bien qu'elle soit elle même englobant le sujet dans un rapport de type religieux. L'auteur pose en effet que pour le fanatique, sa vérité est non seulement unique mais aussi indiscutable. Du marxisme au maoïsme, Haddad retrace l'histoire de bien des illusions; il revient également sur l'horreur nazie en citant de nombreux auteurs ayant décrypté les phénomènes de masse au vingtième siècle. Fantasmes millénaristes et montée de la barbarie C'est au fantasme millénariste d'un retour à l'origine que se réfère également Haddad. Il va même plus loin en suggérant un effacement de l'origine, enfouie dans la névrose d'un mythique âge d'or. Pour Haddad, " On ne nait pas fanatique, on le devient". C'est pour cela qu'il se penche sur les processus de radicalisation - il utilise le terme de "conversion"- qui, subrepticement mènent au ralliement au fanatisme. Tout en évoquant des hypothèses cliniques, "des transformations profondes de la subjectivité et du rapport au monde", Haddad tente de cerner ce qui fonde la spécificité du fanatique: angoisse, morcellement du corps, haine égalitariste, démantèlement de l'appareil d'interprétation de la réalité... Autant de traumatismes qui sont résolus dans des actes guerriers, des fuites vers le mythe, l'illusion de se restructurer dans ce corps fantasmé qu'est le califat ou la Oumma. Mais au fond, ce sont les angoisses qui restent pour Haddad, le moteur de ce fanatisme qui nous interpelle par sa violence et ses fuites en avant, vers une catastrophe éthique et une mort de la civilisation. Le livre de Gérard Haddad, dans sa complexité et malgré le caractère ardu de certains concepts, éclaire véritablement, parvenant à dresser le portrait d'un fanatique sur le divan sur fond de milliers de morts aussi absurdes que le désastre qui s'est emparé des individus passant à l'acte. Un ouvrage de 120 pages, à lire et faire lire tout en ayant à l'esprit que le fanatisme est une maladie. D'ailleurs, Haddad, magistralement, écrit: "Le fanatique est prêt à donner sa vie: Il ne souhaite peut-être que cela, en finir avec cette vie trop lourde à porter. Ce qu'il cherche ne sont pas tant des raisons de vivre que de mourir, se sacrifier". Evoquant les motivations des fanatiques de Daech, cet ouvrage est une clé pour mieux comprendre la terreur entretenue par des personnalités fragiles, nées dans des sociétés malades et basculant dans la barbarie.