L'artiste Mona Belhadj vient de se distinguer au Salon d'hiver de la galerie Mille Feuilles. Ses deux oeuvres iconoclastes dédiées à Utique soulignent rythme, textures et tensions d'une peinture en mouvement. La prochaine exposition personnelle de cette artiste promet la rencontre avec un monde propre structuré par de subtils archétypes du regard Parfois, des fulgurances capturent durablement votre regard... Des œuvres d'art s'imposent à vous, dans leur limpidité, leur puissance, leur manière d'instaurer des archétypes du regard. Car, devant une œuvre plastique, nous ne sommes qu'un regard qui, lui-même, est la somme de nos regards antérieurs, nos sublimations passées, notre être-dans-l'art, pour paraphraser Sartre. En deux tableaux dont le thème est Utique, Mona Belhadj parvient à transcender notre regard, le déplacer vers des tréfonds artistiques, le sortir de la paresse du déjà-vu qui, souvent, règne dans nos galeries. Ces deux œuvres ont des tonalités qui sortent de l'ordinaire et sont l'avant-garde d'une collection qui, pour Belhadj, est une façon d'aller vers ses racines artistiques, tout en les revisitant dans son style propre. C'est le terme très heideggerien de "Umwelt" qui s'impose devant ces deux œuvres. En effet, c'est littéralement un monde propre que l'artiste fait surgir des tréfonds de son inconscient artistique. Avec Utique, la plus vieille cité de Tunisie, pour prétexte, Mona Belhadj se livre à des digressions qui la mènent à bouleverser certains codes. Contraste brutal et rugosités minérales Point de paysage ici, mais nous sommes pourtant au coeur du paysage! C'est que depuis les Impressionnistes et surtout après Van Gogh, le paysage a profondément changé avec une translation décisive vers une luxuriance qui ne reproduit pas le réel mais le réinforme. Le paysage se décompose depuis en un puzzle, en un amalgame de fragments qui abolit la perspective linéaire classique. Chez Belhadj, et particulièrement dans ces deux tableaux, le modelé s'annule grâce à une technique de hachures qui comblent la toile et affirment une vivacité chromatique binaire, un contraste brutal qui s'impose au regard. Ce faisant, Belhadj se réfère, dans une démarche de synthèse à ce que nous qualifierons d'archétypes picturaux, d'oeuvres qui vivent en nous, qui resurgissent au gré du pinceau et instaurent un univers minimaliste de couleurs pures. A la source du monde propre, cet "Umwelt", de Mona Belhadj, des accents rimbaldiens remontent à la surface. Comparable aux notes musicales, les couleurs sont en mouvement comme les voyelles du poète symboliste. Apollinaire n'est pas loin qui saluait le triomphe de la "sainte et admirable ivresse de la couleur". C'est une force synthétique qui se dégage de ces deux oeuvres dont les rugosités poreuses et minérales, les griffures, les mouvements que l'on pressent saccadés de l'artiste restituent une substance véritablement tellurique. Un chaos méthodique et virginal De fait, Belhadj parvient à fixer un flux lumineux pour le mettre en échec par l'envahissement de l'ombre. Elle contrôle la surface entière de la toile, sans allusions référentielles autres que plastiques, équilibre les masses puis procède à une déstructuration de la forme qui tend à s'estomper, s'évanouir, comme dans une illusion, comme pour rompre carrément avec la notion même de forme. On songe alors aux héritiers de Gauguin pour lesquels, le synthétisme prône "une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées". En deux oeuvres subtiles et iconoclastes, Mona Belhadj opère un double mouvement: d'une part, elle installe son dispositif dans la distorsion féconde des classiques contemporains et d'autre part, elle met au coeur du processus pictural les composants textuels de la peinture. Ce faisant, elle établit avec deux oeuvres surprenantes, un authentique manifeste artistique qui, entre volumétrie accusée et ambigüité spatiale, installe le champ pictural dans un chaos méthodique et refondateur de la surface. Mona Belhadj, après avoir brillé au sein du collectif d'hiver de la galerie Mille Feuilles, devrait prochainement revenir au premier plan avec une nouvelle collection, aboutissement de cette démarche singulière.