Allons-nous vers une perte de crédibilité totale du système électoral tunisien, puisqu'on assiste à quelque chose d'unique au monde : la volonté générale du peuple exprimée lors des dernières élections est détournée et déclassée au profit, non pas du parti vainqueur « Nida Tounès » mais, du second « Ennahdha », qui récolte les dividendes du fait de la turpitude des « leaders » du premier ! De mémoire d'hommes et dans les systèmes de démocratie classique les plus ouverts aux coalitions partisanes, au nom de la stabilité politique, nous n'avons vécu un tel renoncement et un tel effacement d'un parti élu pour le commandement politique, qui devient tout simplement un « sous-système » d'un autre parti, remis par les électeurs à la place qu'il mérite, celle de la participation au pouvoir et non du commandement. C'est un discrédit qui touche à l'essence même de l'acte politique lui-même, qui ambitionne de traduire dans les faits, les attentes et les programmes de la volonté populaire qui lui a donné sa légitimité. Cette première, en science politique, décidément, les Tunisiens sont bien doués pour l'invention des systèmes hybrides et irrationnels, risque de coûter très cher à l'avenir car « voter » ne sera jamais plus perçu, comme la voie royale du changement politique et de la légitimité... alors, bonjour la combine ! De fait, il s'avère que les dernières élections surtout au niveau du Parlement, constituent une « non-élection » et le rapport de force politique va se jouer, désormais, en dehors des institutions. Ennahdha a, d'ailleurs, bien compris « le piège » ou le cadeau empoisonné et elle fait tout pour relativiser son passage « illégitime » en tête, à l'ARP en jouant le seigneur-magnanime, et surtout ne pas avoir l'air d'être pressé de capturer un pouvoir législatif vicié à la base... puisque non voulu par les électeurs. Vous me direz ce n'est pas la faute aux « islamistes » si les ambitions de MM. Mohsen Marzouk et Hafedh Caïed Essebsi n'ont pas pu se croiser pour conduire ce pays à un renouveau de la modernisation et une remise à niveau de l'Etat national, frappé au cœur par l'acharnement de la Troïka, qui a conduit pratiquement le pays à la paralysie générale à bien des égards. Le déficit d'Etat, l'essoufflement de l'économie, de l'investissement et de la promotion, en général, ont été les résultantes de cette première option à vouloir déboulonner l'Etat « bourguibien » pour nous intégrer dans le mode « oriental » du laisser-faire, laisser-aller, non accompagné des réformes nécessaires au niveau législatif et administratif et surtout en l'absence d'une trésorerie favorable comme celle émanent de la manne pétrolière des pays du Golfe. De fait, nous voulions ressembler à quelque chose comme l'Arabie-Saoudite ou le Qatar, mais sans pétrole et sans pétrodollars ! Or, les électeurs, fin 2014, ont voté pour sauver l'Etat national moderne du dépérissement. Ils voulaient réamarrer la Tunisie à l'Occident proche et remettre notre pays à sa vocation première d'être l'ami de tous, sans exception, y compris nos frères des pays du Golfe, mais, sans allégeance politique, ni confiscation de souveraineté, et encore moins, d'alignement identitaire religieux, sur des lectures « islamiques » irrationnelles contraignantes et d'un autre âge ! Maintenant, la question qui se pose avec grande acuité : Ennahdha redevenue « première » force politique de commandement à l'ARP, par « l'abandon » et de fait honteux des vainqueurs, incapables de s'assumer, peut-elle se substituer à Nida Tounès pour conduire la résurrection de l'Etat national moderne ! Mon Dieu, il faut être en Tunisie pour vivre une situation pareille et charger les Islamistes « anti-bourguibiens » de remettre à niveau le « Bourguibisme » ! Il ne manquerait qu'une décision d'un réformiste éclairé d'Ennahdha comme le Cheikh Rached Ghannouchi, de décréter le retour de la statue de Bourguiba, déboulonnée par Ben Ali, à l'avenue Bourguiba ! Pour ma part, je pense qu'il est capable de le faire ! Je vois, en ce moment, beaucoup d'agitations et de manœuvres de « leaders » et anciens ministres qui se bousculent à nouveau aux portails du pouvoir, comme MM. Mehdi Jomaâ, Mohsen Marzouk, Mondher Zenaïdi, Nabli... et la suite est longue. Mais, désormais, il va falloir convaincre les citoyens de voter à nouveau ! La légitimité électorale en a pris tellement sur la tête que personne n'y croit plus à cette « démocratie représentative ». Imaginez le Néo-Destour en 1956 qui renonce à « gouverner » et refuse de s'assumer, on serait encore un système monarchique beylical ! M. Hollande a-t-il cherché la « protection » du parti de son adversaire M. Sarkozy, battu aux élections, quand le peuple français l'a porté au pouvoir ! Certes, on peut toujours invoquer le climat d'instabilité postrévolutionnaire et la fermentation revendicative excessive avec cette « minorité » à refuser le verdict des urnes, pour la loi de la rue, encore une anomalie « démocratique » tunisienne. Mais, la politique c'est l'art du commandement, avec ce contrat de légitimité : je vote pour votre leadership mais à vous d'assumer les charges et de prendre les mesures nécessaires à la réforme et au déblocage économique et social. Nida Tounès a fait la politique de l'autruche. Nous ne mesurons pas encore les pertes en termes d'ardoise politique, de Nida Tounès, d'avoir renoncé au pouvoir ! Dès à présent, nous pouvons pressentir de forts relents absentéistes pour le futur. Or, l'absentéisme servira les « islamistes » comme au temps des premières élections de la Constituante et de la Troïka. Il reste, quand même, près de quatre ans, pour que la modernisation retrouve « étoffe » politique à sa mesure. Mais, au vu de l'indifférence générale, et au manque d'imagination des sociaux démocrates et marxistes nostalgiques d'une époque révolue, la Nation risque encore une fois, d'espérer un vrai changement d'Ennahdha, qui réconcilierait l'Islam politique avec la Tunisie moderne et son identité méditerranéenne millénaire. Après tout, il vaut mieux avoir le courage de voir « l'originale » en face que de se taper la doublure, reflet de Nida Tounès, en décomposition ! Comme c'est triste... de passer à côté d'un grand destin ! K.G