Le Front populaire (FP) a, finalement, décidé de ne pas prendre part aux concertations en vue de la formation d'un gouvernement d'union nationale. Mais ses dirigeants et autres élus à l'Assemblée des représentants du peuple prennent part à d'autres débats importants et déterminants pour la suite de la vie politique dans le pays. En effet, on retrouve Al Jabha sur d'autres fronts. Tout d'abord, celui du débat ouvert sur la question des assassinats des deux martyrs, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, au sein de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) où, depuis deux jours, les deux ministres de la Justice et de l'Intérieur sont auditionnés à ce propos. Aux propos mettant en doute l'objectivité de la magistrature, plus précisément le juge d'instruction du Bureau 13 qui a traité les deux dossiers, le ministre de la Justice, Omar Mansour a dénoncé les accusations de manipulation à l'encontre de certains magistrats tout en assurant que ledit juge d'instruction s'est convenablement acquitté de sa mission qu'il a menée à bien. Or, les élus du Front populaire ne l'entendaient pas de cette oreille et ont continué à mettre en cause la neutralité et l'efficacité de l'action d'instruction, affirmant que de nombreuses zones d'ombre persistaient quant au déroulement des deux procès qui se trouvent presque bouclés et classés sans des résultats tangibles, notamment concernant l'identification des personnes ou des parties instigatrices et responsables du financement des deux assassinats. Mais l'intervention la plus virulente et la plus spectaculaire reste celle de Mongi Rahoui qui a fait un véritable réquisitoire contre Ennahdha, du temps où elle dominait, outrageusement, le gouvernement de la Troïka. « Chokri Belaid a été l'un des adversaires les plus redoutables au système mis en place par la Troïka et je rappelle qu'il n'y a jamais eu de consensus à cette époque-là, ni avant l'assassinat ni après », a dit, en substance, M. Rahoui avant de rappeler le rôle des Ligues dites de protection de la révolution qui s'attaquaient aux opposants sous le règne de la Troïka, et qui étaient soutenues par Ennahdha. «Ansar Al Chariâa était soutenu par des leaders du conseil de la Choura du mouvement Ennahdha, les associations takfiristes étaient financées par l'argent du Golfe, les cheikhs rétrogrades appelant à la circoncision des fillettes étaient invités et reçus par les responsables au gouvernement de la Troïka et par les responsables du Conseil de la Choura », ajoutait-il « Rappelez-vous le ministre des Affaires religieuses de l'époque, Noureddine Khademi, qui appelait au jihad, avec notamment le départ des jeunes pour la Syrie », haranguait-il. Puis atténuant, un tant soit peu, son discours, Mongi Rahoui a estimé que même s'il considère le mouvement Ennahdha comme parti « salafiste rétrograde et entretenant des liens avec le terrorisme », le Front Populaire n'a nullement l'intention de l'exclure du paysage politique, car, Al Jabha ne recourt jamais à la discrimination et à l'exclusion. Saisissant ce dernier point au vol, l'ancien ministre de la Justice Noureddine Bhiri et actuel chef du bloc du parti Ennahdha à l'ARP, a réagi saluant «l'évolution du discours » de son parti, « qui reconnaît, désormais, Ennahdha comme partie prenante du paysage politique et n'appelle plus à son exclusion», a-t-il indiqué avant d'a ajouter que la différence et la diversité dans les orientations politiques constituent, plutôt, une source denrichissement pour le pays. Bhiri a tenu à affirmer que son parti et lui-même étaient bien attristés par l'assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi qui sont, en fait, «les martyrs de toute une nation et non seulement d'un seul parti politique». «Ceux qui ont assassiné Belaïd et Brahmi visaient, sans doute, la transition démocratique et l'Etat moderne. Nous sommes pour la révélation de toute la vérité sur cette affaire et pour la traduction des accusés, une fois identifiés et arrêtés, devant les tribunaux afin de leur infliger la sentence ferme qu'ils méritent ». M. Bhiri a dilué, un peu ses paroles en prenant la défense des juges chargés des affaires de terrorisme, et qui ont été pointés du doigt par Mongi Rahoui dans les dossiers de Belaïd et Brahmi. A noter que face aux députés d'Al Jabha, ceux d'Ennahdha, plus précisément, Ferida Laâbidi, Samir Dilou et Sahbi Atig, se sont élevés contre la tenue même de cette séance plénière y voyant une sorte d'un procès parallèle et une interférence dans les affaires de la justice. L'autre débat qui a démarré, mais pas encore devant l'ARP, est celui consacré à la dette publique et à l'endettement de la Tunisie. Réclamée par le Front populaire, cette demande d'audit de la dette tunisienne est, pour le moment, rejetée par le bloc d'Ennahdha, confirmant, par là, l'existence d'un véritable clivage entre les deux partis, celui islamiste et celui de gauche. Or, même si la différence de poids, en nombre d'élus à l'ARP, est énorme en faveur d'Ennahdha, le Front populaire démontre qu'il a une capacité extraordinaire de faire entendre sa voix. Et lorsqu'il constate qu'il va perdre, inévitablement, la partie lors des plénières de vote, il recourt à une arme qui lui a réussi, jusqu'à présent, à savoir celle de s'adresser au Tribunal administratif ou à l'Instance provisoire de la constitutionnalité des lois Ceci a été le cas concernant, notamment, la loi sur la réforme bancaire qui avait été rejetée après avoir été adoptée en un temps record, ou encore la loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature.