Empêtré dans des problèmes de gestion et de légitimités locales, le festival international de Tabarka est en train de rendre l'âme malgré une tradition bien ancrée et un public en or. On ne sait toujours pas si la session 2016 aura bien lieu en août. A Tabarka, c'est la panne sèche que symbolisent aussi les travaux inachevés du nouveau théâtre de plein air... Dans les années soixante, à l'heure où émergeaient les premiers festivals d'été en Tunisie, Tabarka comptait parmi les destinations culturelles par excellence. A l'initiative de Lotfi Belhassine et un groupe de passionnés, le festival de Tabarka naissait alors et se distinguait par son fameux slogan: "Je ne veux pas bronzer idiot". Pas d'autre choix que bronzer idiot... Pourtant, malgré son succès et sa popularité, ce festival de Tabarka allait commencer à connaitre des difficultés dès la fin des années 80. Les problèmes avaient alors surtout rapport aux modalités d'organisation du festival. Après le retrait de Belhassine, ils furent nombreux à se disputer la légitimité de gérer cette manifestation prise en sandwich entre les projets contradictoires et le brouillard institutionnel. Le ministère du Tourisme, celui de la Culture, la ville de Tabarka et le gouvernorat de Jendouba ne sont depuis presque jamais parvenus à accorder leurs violons. Il faudra un homme à poigne en la personne de Jilani Daboussi pour que le festival retrouve un tant soit peu ses repères à la fin des années 90. Toutefois, Daboussi subira de nombreuses cabales et finira à son tour par prendre du recul par rapport à ce festival maudit. Pourtant, cet enfant de la région était parvenu à remettre le festival de Tabarka sur les rails qu'il n'aurait jamais du quitter. Il multipliera les manifestations musicales et donnera aussi bien à la ville qu'au festival une claire identité liée au jazz et aux musiques populaires. Mais rien n'y fera car le festival retournera ensuite à ses vieux démons et fera du surplace, tout en frôlant la disparition pure et simple. Bien loin fut le temps du Comité d'organisation du festival de Tabarka, le fameux COFT qui avait drainé et fédéré les énergies pour relancer un festival qui manque énormément à notre paysage culturel et à la région du nord-ouest. Le chantier inachevé du théâtre de la mer Où sont passés les joyeux lurons de la basilique et du théâtre de verdure qui ont fait la réputation du festival qui a vu les plus grands artistes se succéder sur une scène devenue mythique. Car, durant les années 70, le festival de Tabarka tenait la dragée haute à ceux de Carthage et Hammamet alors que la compétition était vive entre ces trois manifestations estivales. Souvenez-vous de Manu Dibango, Joan Baez, Léo Ferré, Jacques Higelin, Soft Machine ou encore Khaled ou Abdelhalim. Avant de se consacrer au jazz, Tabarka a drainé les meilleurs au sommet de leur art et aujourd'hui plus rien sinon l'écho d'une gloire perdue... Symbole de cette descente aux enfers, les travaux du nouveau théâtre de plein air de Tabarka sont au point mort depuis une dizaine d'années. Conçu pour donner une scène moderne et bien équipée au festival, cet amphithéâtre de la mer est toujours à l'état de chantier inachevé. Le gros oeuvre a été bâti et la structure de cet espace culturel construite mais les travaux sont à l'arrêt pour des raisons budgétaires. Malgré les promesses, ce théâtre de 6500 places qui pourrait être le joyau culturel de toute la région est en panne, au point mort, renvoyé aux calendes tunisiennes dont les méandres sont plus complexes que tous les labyrinthes grecs... Les querelles locales finiront par donner le coup de grâce au festival Tous les problèmes du festival de Tabarka semblent venir de la double ou triple tutelle qui pèse sur cette manifestation. En effet, bénéficiant du double soutien des ministères de la Culture et du Tourisme, le festival a également l'appui du gouvernorat de Jendouba et de la ville de Tabarka. Toutefois, les comités de gestion ne sont jamais parvenus à pérenniser ces soutiens voire consolider leur flux et en optimiser la gestion. D'autre part, les ministères concernés n'ont jamais harmonisé leurs contributions. Il serait pourtant élémentaire de consacrer une structure à la gestion du festival. Pourtant, les querelles de personnes et la politique locale entrent alors en jeu, empêchant toute approche durable et rationnelle. En dernière analyse, ce sont les élites locales de Tabarka qui ont sabordé ce festival à cause de fuites en avant irresponsables, les évictions des uns succédant aux retours en grâce des autres. L'enjeu local est en effet de savoir qui gérera la manne ministérielle consacrée au festival. En ce sens, des associations locales prétendent avoir la haute main sur le festival alors que d'autres personnes et associations leur disputent ce privilège. En conséquence, tout est bloqué et nul ne peut s'aventurer raisonnablement à apporter son appui financier au festival dans cette atmosphère délétère marquée par les embrouilles et les coups fourrés. A ce titre, Tabarka est un véritable cas d'école, un éloquent contre-exemple de ce qui guette nos festivals dans leur ensemble si les tutelles se désengageaient au profit d'associations de gestion locales. Nous reviendrons d'ailleurs sur cette épineuse question en regard des grands festivals comme les JCC qui sont tentés par la privatisation de leurs structures. La bouteille à l'encre En ce qui concerne le festival de Tabarka, on ne sait toujours pas ce qui va advenir de l'édition 2016. Se déroulera-t-elle en août comme ce fut le cas l'an dernier lorsque le festival avait eu lieu du 26 au 29 août? Le ministère du Tourisme apportera-t-il effectivement l'enveloppe de près de 500.000 dinars promise au festival à condition qu'il clarifie sa gestion? Le minist're de la Culture devra-t-il intervenir et reprendre purement et simplement en main ce festival qui échappe à sa tutelle? Autant de questions sans réponses véritables... A Tabarka, c'est la bouteille à l'encre et bien malin celui qui pourra dire si le festival aura lieu ou pas cette année. Et pourtant, le public et la tradition sont bien là tout comme l'écho du jazz, du rai, des rythmes latinos et de la world music...