Depuis la fin de l'ère bourguibienne jusqu'au jour d'aujourd'hui, c'est-à-dire depuis plus de trente ans, la politique culturelle des gouvernements successifs n'a pas varié d'un iota. Au départ, on a tout misé sur les festivals à travers le spectacle dramatique essentiellement. C'est ainsi que les festivals de Carthage et de Hammamet étaient à leur début voués au théâtre avec, pour corser la programmation, de la musique de jazz, de la musique classique et subsidiairement de la variété. Avec le temps, comme dirait la chanson, et durant tout le règne de Ben Ali les dits festivals se sont littéralement métamorphosés en cafés chantants à ciel ouvert. Les responsables du comité culturel de l'époque s'étaient littéralement mués en imprésarios menant de juteuses affaires avec les cabaretiers de l'Orient. Exit l'œuvre théâtrale! Je me souviens d'un haut responsable du ministère de la Culture, assumant à l'époque, l'intérim à la direction du festival de Carthage, à ma question sur l'absence de spectacle théâtral dans la programmation du festival, que croyez vous qu'il me dit ? « Le Théâtre romain de Carthage n'est pas fait pour le théâtre »! Les Romains et à leur tête l'empereur Hadrien ne savaient pas ce qu'ils faisaient en construisant ce théâtre. Mais ce n'est pas le débat. Revenons à l'absence d'efficacité des ministres de la Culture qui se sont succédés durant l'ancien régime. Tous les ministres de la Culture de cette époque s'étaient contentés de gérer les festivals et les services du ministère que forment trois directions: une direction pour le théâtre, une deuxième pour le cinéma et une troisième pour la musique. Point barre. Que croyez-vous qu'il arriva après le soulèvement du 11 janvier 2011? Pérennité de la même ancienne politique (ou absence de politique) mais en pire. On a aggravé le choix d'une culture de masse dans ce qu'elle de plus commercial, de plus marchand, une culture de consommation tout entière fabriquée pour le plaisir immédiat et l'amusement des nantis, il faut bien le dire. Une animation dont la séduction tient en partie à la simplicité qu'elle déploie. Il faut éviter le complexe, offrir des produits à interprétation minimale. Le paradoxe c'est que c'est le ministère de la Culture, avec sa cohorte successive de ministres de tutelle durant plus d'un quart de siècle, a opté pour une sous-culture de masse, imposée par la mondialisation, avec le développement technologique fulgurant des médias modernes. Les ministres successifs n'ont fait que reproduire, reconduire la même politique sans génie. Je dois reconnaître que durant ces cinq dernières années les mêmes choix ont perduré, c'est-à-dire le choix du vide sidéral... On peut même invoquer une régression certaine, sous la pression du sectarisme religieux et notamment salafiste. Souvenez-vous de ce ministre de la Culture du deuxième gouvernement de la troïka à dominante nahdhaouie; dans sa gestion de l'affaire des casseurs salafistes de la galerie al-Abdeliya, il avait fait preuve du plus bas degré éthique et esthétique quant il avait pris fait et cause pour les casseurs enragés salafistes de la galerie. De quoi s'agit-il: mal en a pris à l'artiste de peindre le nom d'Allah avec des motifs composés de petites fourmis, alors que ce faisant, il venait, tout juste, d'illustrer la sourate intitulée (« Les Fourmis » ‘Annaml'). Ceci les casseurs l'ignorent, car ce sont des marginaux plus ou moins délinquants mais totalement incultes. Ils n'ont pas lu le Coran! Mais ledit ministre de la Culture n'a pas fait le lien non plus... Ce qui m'amène à insister sur l'importance intellectuelle du profil d'un futur ministre de la Culture doté de savoir, de culture générale, faisant preuve de sens critique, et surtout de sens civique. La culture, dans un pays démocratique comme le notre doit être le fruit de la liberté. La culture étant au centre même de la vie de la cité, elle est par là, mais par là seulement, éminemment politique. Elle conditionne une approche plus humaine de l'éducation, de l'économie, du travail; elle doit permettre à l'homme privé comme au citoyen de mieux assumer ses responsabilités d'homme et de citoyen. La culture est avant tout pratique du monde. Elle désigne une culture en train de se faire, par opposition à une culture figée dans l'événementiel et le spectacle facile fondé sur la consommation. L'action culturelle doit tendre à mettre une population en mesure de s'exprimer par des voies individuelles et /ou collectives dans tous les aspects de sa vie quotidienne. Elle doit proposer aux membres de cette population, compte tenu du lieu et du moment et par des moyens spécifiques, d'exercer une réflexion critique sur eux-mêmes et la société. L'action culturelle est de ce fait l'une des démarches permettant à chacun de s'engager plus consciemment dans une entreprise commune de transformation de la vie, que dire du monde! Aux journalistes qui s'étaient déplacés à Médenine pour enquêter sur les conditions de vie du terroriste qui s'était fait sauter avec douze innocents de le garde présidentielle ses copains ont dit se plaindre de deux choses: le chômage et le manque d'activités culturelles. Au même instant la ministre de la Culture de l'époque, présidait la soirée clôturale des journées cinématographique de Carthage.... L'action culturelle doit favoriser la rencontre entre humains, favoriser l'accès de chacun à une plus effective citoyenneté. Elle doit s'adresser à des consciences en choisissant de les considérer dans toute la complexité de leur vécu, besoin, aspiration, exigence...La culture vivante, la culture en actes, ne cesse de se faire et de se défaire au niveau des rapports quotidiens que les hommes entretiennent au sein de la cité. La culture authentique est un processus d'émancipation d'instruction d'éducation à la liberté. Nous avons besoin d'un, ou d'une, ministre de la Culture avec une réelle vision, un programme, une réelle stratégie étayée par des choix clairs, porteurs de mouvements, d'actions concrètes, de quoi susciter la joie de faire et de réaliser. Une réelle pédagogie de l'enthousiasme et de l'émancipation Le prochain (ou la prochaine) ministre de la Culture doit être un philosophe, et platonicien si c'est possible. M.K