Les « fleurs » du discours cairote de Barack Obama à peine senties, l'Occident - Etats-Unis en tête - semble reprendre son attitude accoutumée, intrusive et peu respectueuse des expériences démocratiques vécues au Proche et Moyen-Orient, deux régions particulièrement bouleversées par des tensions politiques internes. A l'occasion des dernières élections parlementaires et présidentielles ayant eu lieu respectivement au Liban et en Iran, des réactions occidentales, le moins que l'on puisse dire, excessives ont émergé; et ce, avant (le cas de l'Iran) ou sans (le cas du Liban) que les évènements prennent un tournant violent. Le président français Nicolas Sarkozy est allé très loin en convoquant l'ambassadeur de la République islamique à Paris pour lui demander des éclaircissements sur le déroulement des élections présidentielles iraniennes ! A son tour, la chancelière allemande Angela Merkel n'a pas tardé de marquer la position de son pays par des propos d'une égale ingérence.
Que l'on souhaite la victoire de telle ou telle partie, au vu des convergences idéologiques ou des bonnes relations que l'on puisse entretenir avec celle-ci, est une question admise et tout à fait conventionnelle dans le monde de la politique. Mais que l'on va jusqu'à rebondir sur des conflits électoraux internes, faisant ainsi preuve d'opportunisme politique grossier, est un comportement qui semble être assez démesuré et susceptible d'empoisonner davantage les relations internationales, au moment où on se dirige vers un ordre mondial multipolaire.
Peu avant, à l'occasion des élections parlementaires libanaises, les « outsiders » ont également brillé par leur immixtion explicite dans les détails de l'opération électorale. Côté occidental, il suffit d'indiquer l'implication personnelle du vice-président américain Joe Biden qui se dépêchait à visiter le Liban – ce pays méditerranéen qui compte à peine 4 millions d'habitants - peu avant le scrutin.
Dans les traditions juridico-politiques occidentales, c'est au nom de ce qu'on appelle « ingérence démocratique » qu'on se permet d'avoir une telle attitude et de manifester des réactions pareilles. A vrai dire, cette notion n'est pas sans reproduire – du moins latéralement – les thèses qui méditent la supériorité civilisationnelle de l'Occident par rapport à l'Autre et qui revendiquent un certain paternalisme démocratique.
Or, la démocratie dont jouit n'importe quelle nation, quelque soit le degré de son leadership dans la construction démocratique, est un édifice à entretenir perpétuellement. Autrement dit, on ne peut prétendre l'existence d'une démocratie absolue et définitive. Et quelque soit la profondeur des racines d'un peuple ou d'une nation quelconque dans ce domaine, le risque de dégradation ne disparaît pas. Si d'ailleurs on admet le contraire, c'est déjà un premier pas sur la voie de la dégradation démocratique. Tout le monde se rappelle d'ailleurs de la perplexité et du scepticisme provoqués aux Etats-Unis par l'ambiguïté qui a entouré l'élection de G. W. Bush, à propos du recensement des voix de la Californie.
Le vrai problème c'est que l'Occident se cache toujours derrière des principes tels que ceux de l'Etat de droit et de la démocratie, tout en occultant l'aspect pragmatique, celui des intérêts qui guident réellement tant les intentions que les actions des décideurs occidentaux. Les contradictions qui découlent de ce comportement compliquent considérablement les relations avec les pays concernés. Dans le cas iranien, en particulier, le mauvais souvenir du renversement du régime démocratiquement élu de l'ancien premier ministre Mohammed Mosaddeq par les Etats-Unis est encore présent.
On ne peut également omettre le cas du Hamas; mouvement élu suite à un suffrage qualifié de « transparent » et « honnête » par les observateurs internationaux… Résultat : toute la bande de Gaza, fief de ce mouvement palestinien, avait été collectivement punie pour son « mauvais » choix, sous le silence complice de la « Communauté internationale ».
Ces souvenirs, et tant d'autres, discréditent largement l'ingérence occidentale. Et ce n'est pas tout… Le principe de l'égalité dans les relations internationales perd lui aussi toute crédibilité… Imaginez le président iranien qui convoque l'ambassadeur de France à Téhéran exigeant des comptes à rendre sur le déroulement des présidentielles françaises ! Eh bien oui, l'égalité c'est aussi ça… En partie, elle requiert la réciprocité. Outre les considérations d'ordre moral, et même si on se place sur le terrain du pragmatisme, il y a une sorte de maladresse occidentale dans tout ce qui se passe actuellement. Après trois décennies chargées d'évènements, et malgré tous les dysfonctionnements du système politique iranien, des traditions de pouvoir se sont bel et bien établis dans ce pays. L'Occident risque ainsi d'être intercepté par Téhéran dans un jeu que ce dernier maîtrise parfaitement.